Mar 212021
 

Vous trouverez ici mon premier article définissant le terme féminicide.

Je suis partie du constat suivant : les media français se sont rapidement emparés du terme de féminicide alors qu’a contrario ils peinent toujours à simplement décrire des violences sexuelles, qui sont souvent décrites sous forme de périphrases (« le père entra dans la chambre et referma la porte » pour qualifier un inceste par exemple).
Lorsque nous, féministes, interpellons les media pour des formulations que nous jugerons hasardeuses, nous sommes souvent renvoyées qu’ils seraient journalistes (et donc objectifs) alors que nous serions militantes (et donc par essence subjectives). Au-delà du vieux débat sur l’impossible objectivité journalistique (traiter ou ne pas traiter une information est déjà de la subjectivité), je me suis donc étonnée que l’emploi d’un terme profondément militant comme « féminicide » ne leur pose pas de problème alors qu’une simple description de violences sexuelles était beaucoup plus difficile à obtenir.
J’ai donc essayé de comprendre ce qui se jouait dans l’appropriation journalistique du terme de féminicide.

Le terme de féminicide n’est pas un terme simple et qui à la fois un outil descriptif mais aussi militant.  Revenons au terme qui a servi à le penser, celui de génocide. Lorsque le juriste Raphael Lemkin crée le terme de génocide, il souhaite à la fois qu’un terme existe pour nommer ce qu’il se passe (le massacre organisé et planifié de la population juive d’Europe) et qu’on puisse un jour utiliser ce terme pour juger ce qu’il s’est passé puisqu’une justice internationale humanitaire est en train de se mettre en place. Le terme « crime de masse » existe déjà à l’époque et on pouvait objecter qu’on allait créer deux types de crimes (génocide et crime de masse) comme si l’un était plus grave que l’autre. Lemkin va œuvrer pour que le terme de génocide apparaisse dans les instances internationales. A Nuremberg on lui préfèrera le terme de « crime contre l’humanité » mais Lemkin réussira à ce que le terme soit utilisé par l’ONU dans sa résolution de 1946. Vous trouverez ici le résumé de la controverse entre Lemkin et Lauterpacht sur le terme de génocide qui permet de comprendre en quoi le terme de génocide n’est pas qu’un simple outil descriptif mais aussi un terme militant (ce qui n’enlève rien, répétons-le à la réalité d’un génocide). On différencie désormais les termes de « crime de masse », de « génocide » et de « crime contre l’humanité » par exemple. Le terme de génocide, s’il est entré dans le langage courant, reste un terme militant puisqu’il passe par la reconnaissance que des crimes de masse ont été commis dans l’intention d’annihiler un peuple tout entier. On peut constater que beaucoup œuvrent à nier le caractère génocidaire (donc massif et prémédité) d’un crime de masse.

Le terme féminicide est né de la réflexion de féministes qui considéraient qu’une femme peut être tuée parce qu’on est une femme et s’est construit en réfléchissant au terme de génocide. Il n’a rien à voir avec les termes infanticide, parricide et régicide qui sont des termes uniquement descriptifs. Le terme féminicide est donc à la fois un terme descriptif (une femme est morte) et militant. Militant parce que les féministes désirent à la fois que
- les raisons de ce meurtre en particulier soient connues
- le féministes estiment que ces raisons s’inscrivent dans une organisation sociale générale nommée patriarcat où les hommes ont tout pouvoir sur le corps et la vie des femmes.

Le féminicide reste très mal compris par beaucoup de gens. En effet si à peu près tout le monde comprend qu’il existe des gens qui en haïssent assez d’autres pour les assassiner en raison de leur couleur de peau, leur orientation sexuelle ou leur religion (ce qui n’empêchera pas pour autant de nier le caractère raciste ou homophobe d’un assassinat), le féminicide échappe à cette compréhension puisque l’auteur d’un féminicide est un homme hétérosexuel donc censé aimer les femmes. Le terme de féminicide a d’ailleurs suscité des controverses au sein même du mouvement féministe ; la féministe mexicaine Marcela Lagarde a déclaré que pour elle le terme « féminicidio » impliquait qu’il y ait une complicité de l’état et de la police dans l’impunité des auteurs de féminicide. La créatrice du terme Diana Russell s’est opposée à cet ajout. Vous retrouverez ici les raisons qu’elle donne à cette opposition.

Avant de donner une définition simple du terme de féminicide voici les 4 grands types de féminicides définis par l’Organisation Mondiale de la Santé
- le féminicide « intime » ; lorsqu’une femme est tuée par son conjoint ou son ex conjoint parce qu’elle est sortie des stéréotypes de genre et qu’elle a une conduite considérée comme indigne d’une femme respectable. Ce sont l’immense majorité des féminicides en France. Les raisons peuvent être les suivantes ; quitter son mari ou vouloir le faire (ou qu’il le croit), s’habiller d’une manière qu’il va juger inappropriée, faire des tâches dites féminines (ménage, cuisine etc) d’une manière qu’il va juger mauvaise.

- le crime « d’honneur ». Une femme peut être tuée lorsqu’elle transgresse des traditions (adultère, être violée, grossesse hors mariage, relations sexuelles hors mariage, fréquenter un homme d’une communauté jugée indésirable etc).

- le  féminicide lié à la dot. Un femme dans certains pays doit apporter des biens matériels à la famille de son mari lors du mariage. Des conflits peuvent naitre sur le montant de ces biens et conduire à son meurtre.

- le féminicide non intime. Lorsqu’une femme (ou plusieurs) est tuée par un inconnu pour des raisons liées à des stéréotypes de genre
- refuser des relations sexuelles à un inconnu
- estimer que les femmes ruinent la vie des hommes (Marc Lépine à Montréal)

A titre personnel, j’ajouterais à ces types de féminicides, toutes les morts évitables de femmes parce que la vie des femmes n’est pas considérée comme assez précieuse pour être préservée. On pourrait donc considérer comme féminicides, toutes les morts dues aux mutilations sexuelles féminines, aux accouchements dus à une grossesse trop précoce, aux accouchements dans des conditions d’aseptie insuffisantes alors que le pays a la possibilité d’offrir aux femmes des conditions correctes etc.

Le féminicide est donc le fait de tuer une femme parce qu’elle sort des stéréotypes de genre et ne se comporte pas comme une femme devrait se comporter. On peut y rajouter, pour le cas des féminicides liées à la dot, que certaines féminicides sont liés au fait que l’existence d’une femme est en tant que telle un problème (parce qu’elle va couter cher donc on l’élimine à la naissance, parce qu’elle n’apporte pas assez d’argent lors d’un mariage etc).
Croire qu’il existe des féminicides est donc croire qu’il existe des stéréotype des genre et qu’on peut tuer lorsqu’ils ne sont pas respectés. C’est donc je le répète un terme qui oblige à adhérer à pas mal de théories féministes, j’ai donc été assez surprise de voir l’engouement des media pour ce terme.

En janvier 2021 Jean-Marc Reiser déjà condamné pour des viols (et mis en examen mais acquitté pour la disparition d’une femme) reconnait avoir tué une étudiante Sophie Le Tan. Il dit l’avoir fait car elle a refusé de coucher avec lui. Cette raison marque clairement qu’il s’agit très probablement d’un féminicide ; Reiser estime que les femmes ont des devoirs envers lui et doivent se comporter d’une certaine manière. Il les viole/les tue lorsqu’elles ne le font pas. Je n’ai trouvé aucun journal qui parle de féminicide. On pourrait arguer que les journaux attendent le procès pour se faire mais cette précaution là n’est pas prise lorsqu’il s’agit d’une femme tuée par son conjoint ou ex conjoint.
Toujours en janvier, nous apprenons que le tueur en série Jacques Rançon sera jugé en juin pour le viol et le meurtre de Isabelle Mesnage. Rançon a déjà été condamné pour des viols, meurtres et tentative de viol sur plusieurs femmes. Les raisons de son passage à l’acte sont connues ; il demande à des femmes inconnues de coucher avec lui, elles refusent et il les viole et/ou les tue. Là encore le terme de féminicide n’a pas été employé pour décrire ses actes.
Si nous recherchons des affaire où les auteurs étaient inconnus des victimes ; Elodie Kulik, Laetitia Perrais Victorine Dartois etc le terme de féminicide n’est quasiment jamais employé.

Je me suis alors rendue compte que le terme de féminicide était désormais employé dans la presse comme un terme descriptif pour qualifier le meurtre d’une femme par son conjoint ou son ex conjoint. Or il existe un terme précis pour définir cet acte ; uxoricide.
Pire je me suis rendue compte que certains media, l’AFP en tête, avait décidé de leurs propres règles pour comptabiliser les féminicides. D’emblée il a été décidé de ne comptabiliser que les meurtres par conjoints. On pourrait arguer qu’ils constituent l’immense majorité des féminicide mais ils n’en constituent pas la totalité qui plus est cela participe à vider de sa substance le terme féminicide. Je lis ainsi « l’enquête a montré que la femme et son meurtrier n’ont jamais eu de relation intime ». Cela vise donc à écarter toutes les femmes tuées par des hommes inconnus ; ou si les termes « relations intimes » implique une relation amoureuse/sexuelle, toutes celles n’ayant aucune relation de cette sorte avec leur meurtrier. D’autres media ont écarté les meurtres où la victime était malade et où par exemple le meurtrier s’est suicidé ensuite. Chez les auteurs masculins, la tranche d’âge la plus représentée dans les meurtres par conjoint, est 70 ans et plus. Leur premier motif est la maladie et la vieillesse de l’autre. L’immense majorité des aidants familiaux sont des femmes et pourtant cela conduit à peu d’homicides. Il y a donc sans nul doute une dimension genrée dans le fait de supporter ou non la maladie de l’autre et d’y mettre fin par le meurtre ou l’assassinat. Et nier les raisons sexistes qui ont précédé ce meurtre conduit au non emploi du terme féminicide.

Le terme féminicide est désormais employé par tous les media français mais il a été vidé de sa substance militante pour devenir un simple outil descriptif ; le meurtre d’une femme par son conjoint ou son ex conjoint. Se faisant les media oublient opportunément de décrire les mécanismes structurels qui conduisent au féminicide et plus précisément au féminicide conjugal.
Cette dépolitisation du terme « féminicide » participe au féminismwashing de bon nombre de media, qui entre deux enquêtes sur les féminicides, peuvent se sentir autorisés à publier des lettres de violeurs et des tribunes masculinistes. Pire cela sert indirectement le gouvernement et sa (absence de) politique en la matière. En réduisant le nombre de féminicides à peau de chagrin, on peut aisément en conclure que les trois mesurettes sans ambition adoptées portent leurs fruits.
Si nous pouvions nous réjouir qu’il ait désormais remplacé le fameux « crime passionnel », nous devons pour autant rester vigilantes à ce qu’il ne devienne par un simple outil descriptif. Un féminicide n’est pas que le meurtre d’une femme par son conjoint ; il décrit également tout le mécanisme d’appropriation des femmes par les hommes, dans le patriarcat, nommé hétérosexualité, qui les conduit à avoir droit de vie et de mort sur elles (et vous comprendrez au vu de la levée de boucliers que ne va pas manquer de susciter cette dernière phrase) qu’il est curieux que les media se soient emparés d’un terme aussi fort que féminicide.

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  •  21 mars 2021
  •  Publié par à 18 h 04 min
  •   Commentaires fermés sur Quand les media français dépolitisent le terme « féminicide »
  •   Feminicides, Genre
Sep 122019
 

[Comme est on est un peu maso par ici, le blog est ré-ouvert aux commentaires]

 

Je les vois partout. Je sais que du premier au 104eme féminicide, ils nous demanderont uniquement pourquoi on parle de féminicide en alternance avec « pourquoi n’est-elle pas partie avant cette connasse naïve/halala ces sales vaches connasses toujours à s’intéresser aux bad boys alors qu’il y a des braves gars comme moi pas misogynes pour un sou ».
« Mais enfin ca n’existe pas le mot féminicide ! » Comme s’il y avait des mots qui avaient toujours existé, que le langage n’était pas en soi une construction, un truc établi une bonne fois et on n’y touche plus. On a des mauvais petits ersatz de Marchel Duchamp du langage à chaque femme massacrée c’est fascinant.
21 ans cette année. 21 ans que je pénètre dans le foutu garage où mon père s’est suicidé. J’ai pensé mille fois le démolir pierre par pierre. J’y vais, je rentre, je sais exactement ce que je faisais ce jour-là et je réfléchis à comment on aurait pu l’éviter, si c’était souhaitable et aussi égoïstement ce que cela a a changé dans ma vie (tout). 21 ans que je vois des sales merdeux instrumentaliser le suicide de gars comme mon père pour éviter de parler des violences faites aux femmes par les hommes. Je dis de gars comme mon père parce qu’il cochait comme la majorité des hommes qui se suicident toutes les cases ; moyen utilisé, raisons, incapacité de parler etc. Ces gens s’en contrefoutent en général puisque le moindre mec qui oserait exprimer son mal être sur les réseaux sociaux est moqué, vilipendé, voire poussé au suicide. Qu’on ne vienne donc pas me prétendre que le suicide des mecs les intéressent c’est un mensonge, une sale petite instrumentalisation. Les mecs sont tellement mal à l'aise avec la fragilité masculine que c'est le seul argument qu'ils sont en bouche d'ailleurs lorsqu'il s'agit de contrer la propagande masculiniste et fasciste de certains. "Halala qu'est ce qu'il est fragile" braillent-ils face à un masculiniste comme si le problème était là.
Oui les hommes complètent plus leur suicide. Oui les hommes sont les premières victimes des violences. Guess what ca a même été théorisé par les féministes. Seulement les solutions qu’on propose pour mettre fin à ce cycle infernal ne plaisent pas parce qu’il faudra évoquer que ça a tout à voir avec la construction de la virilité. Tout à voir avec le fait que dés le plus jeune âge, on apprend à un garçon qu’on règle ses problèmes par les poings sinon on est une « terme homophobe » et qu’on ne chiale pas sinon on est une « terme sexiste ». Et quand tu vois que même le plus féministe des mecs (c’est celui qui est pour la prostitution et qui aime bien photographier des femmes à poil dans le cadre de la body positivity) n’a qu’une idée en tête c’est faire usage de violence (toute verbale hein) lorsqu’un type est sexiste, tu te dis qu’on n’a pas le cul sorti des ronces. Il faut être respecté des femmes apprend-on partout ; se faire humilier par un mec  c’est déjà pas trop mais alors par une femme… et il semble que les hommes ont l’indignation chatouilleuse.
Le fait est que l’essentiel des viols et des violences physiques et des violences psychologiques et des féminicides ont lieu dans le couple hétérosexuel et que c’est invariablement un homme qui frappe/viole/tue une femme. Il existe mille et une formes de conjugalité mais non c’est dans ce schéma là que se déroulent l’essentiel des violences.
Et c’est là que ca coince. Parce qu’autant on est prêt à admettre que Patrice Allègre ne doit pas trop trop aimer les femmes pour les massacrer et les violer, autant ca passe moins d’un mec totalement lambda. Alors on essaie de combler les trous en se demandant comment notre vision du couple (et le pavillon avec le chien le gâteau a trois étages payé une blinde avec le couple au sommet on passe d’une femme la gorge ouverte sous le nez des mômes). Alors on individualise. On évite l’éléphant dans la pièce (tiens merde c’étaient tous des hommes) pour se concentrer sur l’accessoire, le steak était trop cuit, elle avait une jupe trop courte. On tente de rendre les pseudo raisons de frapper ou de tuer ridicules afin de montrer combien il devait être déséquilibré. Parce que ca permet ainsi de ne pas s’intéresser aux causes profondes de la violence masculine et d’en faire un problème systémique.
Enfin merde. Si les hommes sont responsables de l’immense majorité des crimes et délits, victimes et auteurs principaux des homicides, responsables des accidents de la route les plus graves, responsables de la quasi majorité des violences sexuelles, est ce que non ca n’a rien à voir avec le fait que cela soit des hommes et la construction masculine ?
On nous dit mais c’est quoi ca le féminicide tuer une femme parce qu’elle est femme. Le féminicide c’est tuer une femme pour des raisons misogynes, parce qu’on estime qu’elle ne s’est pas comportée comme une femme devrait se comporter. Elle n’a pas obéi à son mari, elle l’a quittée. Elle n’a pas fait correctement sa part de tâches ménagères. Elle ne s’est pas habillée comme il le souhaitait. Tout ceci ne sont évidemment que des prétextes, ne nous y trompons pas. Il frappe parce qu’il estime qu’il a le droit de frapper sa femme parce que dans notre société – même là oui en 2019 – tout concourt à dire qu’on est propriétés des hommes et qu’on leur doit quelque chose sinon ils s’énervent.
Je ne peux m’empêcher de penser, en permanence aux dizaines de fois où on m’a expliqué que Samantha Geimer savait à quoi s’attendre en allant chez Polanski comme si cette réalité évidente, toute simple m’avait échappée ; aller chez un homme seule c’est s’exposer à un viol parce que les hommes sont comme ca. Et bien ne pas faire ce que veut un homme c’est s’exposer à ce qu’il s’énerve et c’est comme ca. Il n’y a rien à changer.
Observez qu’on interroge toujours pourquoi les femmes ne partent pas mais jamais pourquoi les hommes tuent. Comme si ca allait de soi. Comme si, même là, il fallait éviter d’être tuées et pas de tuer.
Observez nos pathétiques tentatives pour tenter de réduire les violences faites aux femmes par les hommes. Elles sont toujours après. Après les viols. Après les coups. Après les morts. Comme si on avait abdiqué. Comme si on savait qu’on ne pouvait pas faire grand-chose au fond avant parce qu’ils sont comme ca, qu’ils dérapent, qu’ils s’énervent, qu’ils ont du tempérament, qu’ils ont un peu sanguins, qu’ils ont de la testostérone à revendre, qu’ils ont du mal à se contrôler. Et comme on doit faire leur ménage, des pipes et penser à ce à quoi ils n’ont pas pensé, on doit aussi penser à ce qu’il faut faire pour ne pas les mettre en colère.
Personnellement beaucoup d’hommes sur les réseaux sociaux m’ont prise dans leur toile d’araignée. Ils m’ont tellement répété année après année que si je ne réponds pas correctement à toutes leurs demandes, alors ils se comporteront mal avec les femmes (et ca sera de ma faute). C’est un raisonnement extraordinaire, totalitaire et fascisant dans lequel je suis tombée à pieds joints.

Le fait est que plein d’hommes haïssent les femmes. Oh je n’ai pas de chiffres, non. J’ai juste en tête, comme des millions de femmes, a minima tous les moments où les hommes ont fermé leur gueule quand leurs potes se comportaient comme des porcs et qu’ils fermaient tous leur gueule, parce que ce n’est pas si grave, que c’est juste une blague, que par ailleurs il n’est pas comme ca, et puis il est tendu en ce moment et puis y’a pire dans la vie tout de même.
le fait que les violences physiques et sexuelles se déroulent dans un contexte hétérosexuel, qu’on nous a vendu comme quelque chose d’à la fois profondément naturel (donc normal) et où hommes et femme s’aiment d’un amour tendre empêchent de réfléchir à ce que sont les violences patriarcales. Un homme violent pourrait frapper n’importe qui dans la rue si son problème était juste la violence. Un homme violent et misogyne pourrait frapper n’importe quelle femme dans la rue si son problème était juste la misogynie. (ne venez pas prétendre qu’il le fait parce que les volets sont clos, le nombre de mecs qui frappent leur femme qui hurle et que tout le voisinage entend montre que votre théorie est foireuse). Il frappe parce qu’ils le peuvent, ils frappent parce que l’histoire du mariage (vous y tenez tant à votre histoire quand il s’agit de justifier des conneries allons y gaiement) a dit que la femme était la propriété du mari et que, ma foi, ca compte encore.

Je ne comprends pas pourquoi on est si long. Enfin si je le comprends, parce que tout ceci n’a au fond pas grande importance. Parce qu’au fond la violence exercée contre les femmes par des hommes est toujours plus au moins justifiée. Même dans les cas d’assassinats.
Elle aimait les bad boys
Elle était restée
Elle est sortie tard le soir
toutes les raisons sont là toujours pour dédouaner les hommes violents et aussi s’en distancier.
Je ne vois plus d’issue. Atwood disait « les femmes ont peur d’être tuées par les hommes, les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux ». Elle donne beaucoup trop d’importance à ce que les hommes pensent des femmes. Les hommes ont peur que les autres hommes se moquent d’eux. Ils ont peur qu’ils se moquent d’avoir été quittés, qu’ils remettent en cause leur virilité, qu’ils soient traités de manière homophobe. La violence masculine n’est pas un problème individuel qu’on gérera par des politiques à l’avenant. Ca laissera toujours entendre qu’un homme violent uniquement pour des raisons qui lui sont propres et que les dizaines de personnes violées, frappées et tuées chaque année le sont par autant d’individus tous différents les uns des autres. La violence n’est pas un avatar de la virilité, elle en fait partie à part entière. La violence EST virile.

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Jan 022019
 

L’idée la plus courante en matière de violences conjugales est que les femmes battues n’ont qu’à partir. Ainsi il n’est pas rare, sur les réseaux sociaux, lorsqu’on apprend qu’une femme a été tuée par un homme qui la battait depuis longtemps, de culpabiliser la victime en se demandant si elle ne devait pas aimer cela, au fond, pour être restée. Dans une affaire où la victime a subi un viol si brutal par son conjoint qu’elle en est décédée, un commentaire sous l’article dit : « Elle avait déjà été soignée pour des blessures mais aucune plainte n’avait été déposée à l’époque : la peur, voire la bêtise, de ces femmes les rend aveugle pour leur plus grand malheur. » Eclaircissons de suite ce point, la violence conjugale ne doit pas être confondue avec des pratiques sadomasochistes qui impliquent le consentement de tous les protagonistes. Et essayons d’analyser les raisons qui font qu’une femme battue ne quitte pas son conjoint.

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Oct 102017
 

On me dit que Cantat a "payé sa dette". Ce sont des termes qui me sont étrangers ; je ne considère pas que la justice est là pour "faire payer les gens". Je considère que chacun-e, en revanche, doit se questionner sur ses actes et leurs symboles.
On me dit qu'il faut dissocier l'homme de l'artiste ; expliquez moi comment vous faites cela. Vous l'applaudissez une fois sur deux ? Vous applaudissez en hurlant "j'admire l'artiste mais pas l'homme" ?
On me dit que cela fait 14 ans.
Le meurtre de Marie Trintignant par Cantat a été un séisme pour la jeune féministe que j'étais.
J'ai découvert, comme tant d'autres, ce que beaucoup de gens pouvaient penser des victimes de violences conjugales.
J'ai découvert que certain-es abruti-es se berçaient de l'illusion du poète déchu qui a tant et mal aimé, pour excuser Cantat.
Les réactions à ce féminicide ont été - comme furent ensuite celles aux "affaires" DSK, Polanski, Baupin, Sapin etc - un parfait révélateur de l'état désastreux de la société française en matière de violences faites aux femmes. Marie Trintignant a été traînée dans la boue de la pire des façons ; ce qui a été dit à l'époque illustre vraiment à quel point nous sommes dans la posture quand il s'agit de violences conjugales. C'était une pute, une salope, une droguée, une hystérique et une alcoolique et il semblait bien à une partie de la population françaises qu'être cela en tout ou partie justifie qu'on vous massacre à mains nues. Nous trouvons toujours des excuses, des bonnes raisons pour que des femmes meurent: une pâte à crêpe pleine de grumeaux, des nuggets trop chers, une femme hystérique, un chanteur à fleur de peau.

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Jan 162017
 

Voici le résumé de Pax neoliberalia, Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence de Jules Falquet qui m'a été gentiment envoyé par les éditions iXe. Dans ce recueil de textes, écrits sur une vingtaine d'années, l'auteure travaille sur les enjeux matériels des différentes formes de violences contre les femmes et sur la réorganisation néolibérale de la coercition.

Il est difficile de prétendre en tout début d'année que ce livre sera un des livres les plus marquants de mon année 2017 mais j'ai pourtant bien ce sentiment. L'auteure arrive magistralement à montrer, par exemple, combien la violence patriarcale et celle née du néo-libéralisme touchent en tout premier lieu les femmes (et encore davantage si elles sont racisées).

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Oct 062016
 

Nous sommes toutes et tous profondément éduqué-es, conditionné-es, formaté-es à haïr les femmes. Nous haïssons les femmes quand elles sont belles, nous haïssons les femmes lorsqu'elles sont laides, nous haïssons les femmes quand elles sont grosses, nous haïssons les femmes comme ci ou comme cela. Nous n'aimons rien de ce qui est considéré comme féminin et nous nous en excusons si c'est le cas ("j'aime bien le maquillage pardon c'est un peu futile mais ca me détend" - rire gêné).
Les femmes se haïssent entre elles mais leur pouvoir de nuisance, en termes de violences de genre, reste limité. Les hommes sont éduqués, formatés, à battre les femmes, à les violer, à les harceler. Il existe une violence de genre exercée par les hommes contre les femmes. Cette violence implique des agressions sexuelles, des viols, des insultes sexistes et du harcèlement. Cette violence est condamnée mais aucun réel effort n'est fait pour lutter contre ; la pluie tombe et les hommes violentent les femmes c'est ainsi.
Notre relation aux femmes est faite d'ambivalence. On aime la beauté de certaines femmes mais on tend à les trouver bêtes. On les trouve sournoises, futiles, colériques, têtes en l'air ; des charmantes têtes de linotte qu'il fait bon avoir près de soi mais pas trop longtemps. Nous nous conditionnons à apprécier les qualités dites masculines (franchise, courage, force) et à sur-estimer les défauts dits féminins (sournoiserie et futilité en tête de liste).
Nous affirmons que le viol des femmes est un crime épouvantable mais nous considérons que, quand même, certaines femmes l'ont bien cherché.
Nous affirmons que nous ne frapperions pas une femme "même avec une rose" mais quand même certaines sont bien chiantes.
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Juil 052016
 

Le génocide et l'ethnocide

En 1941, Churchill déclarait, deux mois après l'invasion de l'URSS : "L’agresseur se comporte avec une cruauté extraordinaire. Au fur et à mesure que les armées avancent, des districts entiers sont exterminés. Des dizaines de milliers d’exécutions – littéralement des dizaines de milliers– sont perpétrées par les unités de police allemandes. Nous sommes en présence d’un crime qui n’a pas de nom. ("We are in the presence of a crime without a name").
Le juriste juif polonais, Raphaël Lemkin, créa en 1943 le terme de "génocide" : "La guerre qui vient de se terminer a concentré notre attention sur le phénomène de destruction de populations entières, groupes nationaux, raciaux et religieux, tant du point de vue biologique que du point de vue culturel. (...)Tandis que la société cherche protection contre les crimes individuels, ou plutôt contre des crimes dirigés contre les individus, nous ne pouvons relever un sérieux effort en vue d'éviter et de punir le meurtre et la destruction de milliers d'êtres humains. Plus fort même, un nom adéquat pour le phénomène n'existait même pas.(...) L'expression "meurtre de masse" rendrait-elle le concept précis de ce phénomène ? Nous sommes d'avis que non, puisqu'elle n'inclut pas le motif du crime, plus spécialement encore lorsque le but final du crime repose sur des considérations raciales, nationales et religieuses. (...) Toutes ces considérations nous ont amenés à voir la nécessité de créer pour ce concept particulier un terme nouveau, à savoir le Génocide. Ce mot est formé de deux entités : "genos ", terme grec, d'un côté, signifiant race ou clan, et "cide " suffixe latin de l'autre comportant la notion de tuer. Ainsi. le terme "génocide", prendra rang dans la famille des termes tyrannicide, homicide, patricide".

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Oct 142015
 

Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.

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Juin 262014
 

"L'homme, dépressif, aurait agi car il ne supportait pas que sa femme veuille le quitter."

J'aurais pu trouver des dizaines de cas de ce type puisqu'en effet le profil type de celui qui tue sa femme, voire ses enfants est la non-acceptation de la séparation.

Les crimes contre les femmes - ce ne sont pas les seuls mais c'est le sujet ici -  sont toujours traités de manière individuelle et jamais systémique c'est à dire comme faisant partie d'un système social organisé, d'une construction sociale et culturelle.  On nous parle de la dépression de l'homme, de son état alcoolisé, de son chômage, du fait qu'elle l'a quitté ; on retrouve sans cesse les mêmes éléments et pourtant l'on persiste à en faire des cas individuels. (sauf evidemment dans le cas de violences exercées par des racisés là évidemment c'est tout autre chose). Les violeurs, les violents, les assassins sont tous vus comme autant de cas individuels, de fous, de dépressifs alors que quelques traits globaux sautent pourtant aux yeux ; ne serait-ce que le premier ce sont tous pour leur immense majorité des hommes.

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Juin 292010
 

J'ai écrit plusieurs articles sur le sujet :
Les féminicides à Ciudad Juarez au Mexique
Des nouvelles du féminicide à Juarez

Le 14 juin, des policiers armés ont investi une maison pour femmes battues, en exigeant qu'on leur remette une jeune fille mineure censée y demeurer. Les papiers qu'ils avaient en leur possession n'indiquaient à aucun moment que la jeune fille était dans cette "safe house". L'officier en charge de l"intervention a refusé de s'identifier et n'avait pas de mandat de recherche.  A noter qu'il y a dans ce refuge, beaucoup de femme de policiers et de membre de gangs, le refuge est donc en théorie interdit à tout homme.
Les policiers ont menacé les femmes avec des armes, ont fouillé et détruit des meubles. Ils n'ont jamais trouvé la jeune fille.

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