Oct 072014
 

Lorsqu'on naît en France en 2014, on est, dans l'immense majorité des cas, assigné mâle ou femelle et on sera ensuite éduqué, socialisé en fonction de cette assignation de genre. C'est la fameuse phrase de Beauvoir ; "on ne naît pas femme on le devient" et il en est de même pour les hommes ; on ne naît pas homme, on le devient par des processus de socialisation et d'éducation. On va vous apprendre des comportements, des attitudes, des manières de parler, de jouer, de travailler qui correspondront à ce qu'on attend d'un homme, ou d'une femme au XXIème siècle en France.

De façon quasi universelle, dans le monde, les familles préfèrent avoir un garçon qu'une fille. Dans certains pays, comme par exemple en Inde, on aura plus tendance à avorter d'un fœtus féminin, voire à tuer la nouvelle née dans certains pays. On tend également à pratiquer davantage d'échographies pour vérifier qu'on va bien accoucher d'un garçon et, dans de nombreuses familles, on dit vouloir continuer à faire des enfants jusqu'à ce qu'on ait un garçon.

Garçons et filles sont donc éduqués différemment et ce qu'on apprend aux garçons est valorisé, considéré comme plus intéressant, plus utile, que ce qui est enseigné aux filles.

Dés les premières heures de la vie : 

Dés la naissance (et parfois même avant si l'on sait le sexe), à partir du moment où le genre est assigné, les parents projettent des attentes différentes sur le nouveau-né et commencent à le décrire de façon différente. Ainsi, alors que rien objectivement ne le justifie, la fille est décrite comme plus petite, plus douce, plus fine et moins attentive que le petit garçon. Elle est aussi vue comme moins coordonnée, plus calme et plus faible. De ces fausses constatations découlent évidemment des comportements différents et ce, à peine 24 h après la naissance ; une nouvelle-née de quelques heures sera vue comme calme même si rien ne le justifie. Le garçon bénéficie également d'attentions particulières ; ainsi la durée de l'allaitement est en moyenne de 30 minutes pour les garçons et de 10 minutes pour les filles. Le plus grand besoin de nourriture dont auraient besoin les garçons ne justifie évidemment absolument pas par les 20 minutes de différence. Il a également été montré que les enfants mâles sont nourris plus rapidement que les filles ; l'apprentissage de la frustration ne leur est pas inculqué. Une étude montre que les mères sont plus attachées à leur fils et plus indifférentes à leur fille.
Cowan et Hoffman montrent que les parents attendent de leur fils qu'il soit indépendant, ambitieux et travailleur alors qu'on attendra d'une fille qu'elle soit gentille et attirante. Les valeurs attendues pour un garçon sont évidemment valorisées dans notre société et correspondent davantage à l'idée qu'on se fait de la réussite par exemple. Si l'on attend d'une fille qu'elle soit par exemple attirante, cela signifie également qu'on dévalorisera les autres attitudes qu'elle pourrait avoir si ces attitudes sont jugées comme ne correspondant pas à son genre. Ainsi l'agressivité, pourtant vantée par nombre d'études comme la qualité pour être un bon leader, attitude hautement valorisée dans nos sociétés, sera fortement réprimée chez les filles.

Une étude de Condry et Condry étudie le comportement d'adultes face à la vidéo d'un jeune enfant, tour à tour habillé de manière féminine et masculine et mis face à un diable à ressort. Les réactions des adultes sont notées selon qu'ils croient avoir affaire à une fille ou à un garçon. Lorsqu'il s'agit d'un garçon, les adultes ont tendance à voir davantage de colère dans son attitude et à la valoriser. Lorsqu'il voient une fille, ils pensent voir davantage de peur. D'autres études, prenant comme participants des adultes ou des enfants montrent qu'on a toujours tendance à voir davantage la peur chez les filles (ou ce qu'on suppose être des filles) et de l'assurance chez les garçons. Le comportement et les attitudes des filles sont vues de façon plus négative que celui des garçons. Bien évidemment, l'attitude étudiée se répercute sur la façon dont on perçoit les enfants autour de nous ; à force de dire et répéter que les garçons sont forts et que les filles sont faibles, ils finissent par adhérer à ces stéréotypes et à les reproduire. L'expérience a été répétée avec pour observateurs des enfants entre 3 et 5 ans, observant des supposées filles et supposés garçons en train de jouer ; on constata que, malgré leur jeune âge, les observateurs avaient déjà des préjugés de genre.

Dans les crèches, les filles sont moins sollicitées et encouragées que les garçons ; les professionnels interrogent davantage les garçons en leur autorisant davantage d'interactions entre eux. En revanche ils interrompent les filles. Dés cette période, on porte une attention soutenue à l'apparence de la fille dont les vêtements ne lui permettent pas toujours de se mouvoir librement ou sans se salir, ce qui a visiblement davantage d'importance que chez un garçon. Les jouets de garçons sont davantage liés à l'extérieur, permettent plus de manipulation et sont présents en plus grand nombre à la crèche. Ils encouragent la réussite et la créativité alors que ceux des filles sont davantage tournés vers le "faire semblant" et "imiter maman". Dés l'âge de 4 ou 5 ans, les filles commencent à inhiber consciemment leur agressivité.
Lorsque les parents discutent avec leurs enfants ou racontent des histoires, ils évoquent davantage la tristesse avec leur fille et la colère avec leur fils. La colère est vue comme une qualité relativement positive pour un homme ; on dira qu'il a du tempérament et ne se laisse pas faire, alors qu'une fille en colère sera vue comme hystérique et sachant peu se contrôler. La tristesse correspond davantage à une qualité féminine, plus faite de passivité.

On constate ici que le garçon dés les premières années de sa vie, bénéficie d'un traitement avantageux face à la fille. Il est davantage interrogé, davantage stimulé et les qualités qu'on est censé avoir pour "réussir" dans nos sociétés sont valorisées chez lui alors qu'elles sont découragées chez les filles.

Le sexisme et les stéréotype dans les livres pour enfants.

On retrouve également des stéréotypes dans les livres pour enfants où le masculin est valorisé et mis en avant ; ainsi 60 % des personnages sont masculins. Dans les titres et la couverture, cette surreprésentation est encore plus importante : 2/3 des personnages sont des hommes. Dans les livres pour les plus jeunes enfants, on trouve énormément de personnages anthropomorphiques qui sont également sexués. Si par hasard ils ne l'étaient pas, le parent qui raconte, masculine les personnages animaux asexués. Anne Dafflon Novelle montre qu'il y a dix fois plus de héros masculins que féminins dans les livres consacrés aux enfants de 0 à 3 ans. Les femmes et les filles sont plus souvent représentées à l’intérieur, dans un lieu privé et prennent davantage part aux activités domestiques. Les hommes et les garçons sont plus illustrés dehors que dedans, dans un lieu public que privé, s'occupant de façon très active, en faisant du sport par exemple.
Nous nous habituons ainsi à considérer que le monde est avant tout masculin et que les femmes y exercent des rôles subalternes. Le masculin va de soi alors qu'il faut représenter le féminin pour qu'il existe. Les personnages masculins sont d'ailleurs peu représentés par des attributs de genre alors que les femmes le sont davantage avec une surabondance d'objets stéréotypés censés montrer ce qu'elles sont (bijoux, maquillage etc). En revanche, on décrit davantage le caractère des personnages masculins qui sont plus travaillés. L'universel est donc masculin dans les livres pour enfants.

Dans ces livres, les garçons reçoivent plus souvent des encouragements et des récompenses pendant que les filles se voient opposer des interdictions. Les garçons sont davantage grondés mais ont moins d'interdictions comme dans la vie réelle, en particulier au collège.

Nous nous habituons ainsi à concevoir des rôles sexués et sexistes où le monde appartient aux garçons et où les filles ne jouent qu'un rôle subalterne, secondaire. Le masculin devient le neutre, l'universel et on s'habitue progressivement à voir, par les livres pour enfants, des rôles fortement sexués où les filles ont toujours le second rôle;

A l'école maternelle 

Dés l'école maternelle, les professeurs tendent à interroger davantage les garçons que les filles ; ils sont à la fois interrogés et sollicités, y compris lorsqu'ils ne le demandent pas. Les filles sont davantage invitées à se faire plus discrètes, voire à se taire. La punition pour une fille trop bavarde est de la mettre à côté d'un garçon. Les professeurs tendent à montrer aux enfants un monde où les femmes sont absentes : tous les personnages évoqués lors d'une activité sur les professions sont masculins par exemple. Les petits garçons sont davantage aidées par les profs, les ATSEM et les petites filles sur la demande des professeurs. Une autre étude menée en Suède rendait compte des mêmes conclusions : sans en avoir conscience, les enseignants encourageaient les garçons à prendre des risques et à s'amuser et répétaient sans cesse aux filles de "faire attention". Les adultes laissaient ainsi beaucoup plus de place aux garçons, qui utilisaient en moyenne les deux tiers du temps de parole. Lors des échanges avec les enfants, les éducateurs acceptaient sans difficulté que les garçons interrompent les filles alors qu'ils demandaient aux filles d'attendre patiemment leur tour. Lors des repas, les éducateurs demandaient de l'aide aux petites filles qui aidaient à servir et jamais aux garçons.

Ainsi là encore, le monde présenté est un monde où le masculin est valorisé ce qui offre aux garçons la perspective d'un monde qui leur appartient et où il est mieux d'être un garçon qu'une fille. Les filles, elles, sont mises en retrait et doivent aider leurs camarades garçons. Nous nous habituons collectivement à dévaloriser le féminin et à encourager le masculin.

Les jeux et activités 

Les jeux et activités proposés aux enfants dépendent  de leur sexe ; ce qui entraîne une relation différente à l'espace. En effet les garçons sont davantage supposés jouer au foot, à la bagarre dans l'espace public alors que les filles restent plutôt jouer à l’intérieur dans des espaces plus réduits. Ainsi, les garçons apprennent à occuper l'espace et à se l’approprier ; les femmes apprennent à le partager.
Cette socialisation se poursuit à l’adolescence. Yves Raibaud a étudié les espaces de loisir pour jeunes et a ainsi pu constater que les filles disparaissent progressivement du secteur public de loisirs à partir de 12 ans. Dans toutes les structures d’animation en France, l’offre de loisirs subventionnée s’adresse en moyenne à deux fois plus de garçons que de filles, toutes activités confondues. Raibaud en conclut : "La proposition sportive et culturelle organisée, proposée et en définitive consommée par les jeunes est donc inégalitaire. On peut penser de plus qu’elle participe à la consolidation des standards et stéréotypes sexués." Les pôles non mixtes habituent les adolescents au rôle qu'ils devront jouer ; ainsi la salle de danse avec ses miroirs et ses postures entraînera les filles à être gracieuses.

Les garçons apprennent ainsi à occuper l'espace et à se l'approprier au contraire des filles.

De l'école primaire à l'université 

Dès le primaire, les filles sont plus performantes à l’école. Les statistiques de l'INSEE, nous montrent qu'elles redoublent moins et leur taux de réussite au brevet et au baccalauréat, pour l'ensemble des séries est meilleur. A la fin du collège, les filles s’orientent davantage vers l’enseignement général que vers l’enseignement professionnel mais en se détournant des filières scientifiques et techniques.

Comme à la maternelle et au primaire, les enseignants consacrent un peu moins de temps aux filles, notamment en mathématiques. Une étude de l'université de Liège montre que les interactions sont plus fréquentes avec les garçons qui sont plus fréquemment félicités pour leurs performances, et critiqués pour leur comportement. L’inverse est observé pour les filles, qui sont plus fréquemment louées pour leur bon comportement et critiquées pour leurs performances.
Marie Duru-Bellat a montré que les enseignants pensent inconsciemment qu'un garçon aura forcément un meilleur niveau qu'une fille. Plusieurs expériences de correction en aveugle ont ainsi montré que les professeurs ont tendance à surévaluer les bonnes copies des garçons et à sous-évaluer les bonnes copies de filles. Inversement, ils montrent plus d’indulgence pour les mauvaises copies de filles et plus de sévérité pour les mauvaises copies de garçons. Si les garçons réussissent c'est grâce à leur intelligence, si les filles le font c'est à cause de leur sérieux. Dans tous les cas, dés le primaire, les enseignants prédisent une meilleure réussite pour les garçons que pour les filles face à des élèves de niveau pourtant équivalent.

On est très exactement dans ce qu'on peut appeler une prophétie auto réalisatrice. Si nous partons du principe que les garçons sont meilleurs en sciences pures, que nous faisons tout pour les encourager - en multipliant les interactions, en les sur-valorisant, en punissant leurs mauvais résultats, alors les garçons réussiront mieux dans ces matières ; et cela n'aura rien d'inné. Une étude où le même exercice est nommé d'abord "géométrie", domaine où les filles sont censées être moins bonnes, puis "dessin" offrira des résultats différents ; dans le premier cas, les filles obtiendront des résultats inférieurs. Les filles intègrent donc également ce préjugé. A niveau égal et dès le collège, les filles s’estiment moins bonnes en mathématiques que les garçons et semblent moins apprécier cette matière.  Puisque le corps enseignant, leurs parents leur font comprendre qu'elles ne sont pas faites pour les sciences dures et n'ont pas cette "fameuse bosse des maths" alors les filles font s'autocensurer et lorsque des élèves se jugent très bons en mathématiques si 8 garçons sur 10 vont en filière scientifique, seulement 6 filles le feront.

Tout ceci a évidemment des conséquences sur la vie estudiantine.

Post bac, les filles représentaient 42,8 % des effectifs des universités en 1960-1961 contre 57,57 % en 2009-2010. Mais les parcours universitaires demeurent nettement différenciés.  Alors que les filles constituent 70 % des étudiants en lettres et sciences humaines, elles sont moins de 30 % dans le domaine des sciences fondamentales.
Au sein  des classes préparatoires aux grandes écoles, les femmes représentent 75 % des étudiants dans les filières littéraires et 30 % des élèves scientifiques. Les filles sont très minoritaires dans les écoles réputées les plus prestigieuses du système scolaire français qui les ont acceptées tardivement (1973 pour Polytechnique, 1986 pour Normal Sup).

On peut donc en conclure que, si les filles font des études plus longues que les garçons, et obtiennent de meilleurs résultats, elles sont concentrées dans un nombre limité de filières qui sont moins professionnalisées. Les filles sont également moins présentes dans les filières les plus prestigieuses.

A force de répéter aux filles qu'elles ne peuvent pas, qu'elles n'y arriveront pas, qu'elles feraient mieux de, nous arrivons à ce qu'en effet, elles se cantonnent à certains rôles et n'osent pas. 

Nous constatons que le garçon dés lors que son genre lui a été assigné, a des privilèges qui, certes lui échappent et dont il n'est pas responsable, mais dont il bénéficie bel et bien. Dés sa naissance, les qualités qui seront plus tard valorisées dans la réussite sociale, sont mises en avant et poussées. Son agressivité sera ainsi poussée et on la mettra plus tard en avant en expliquant qu'elle fait le bon leader. Par défaut, le masculin est l'universel et le féminin doit toujours être nommé pour exister. Ainsi il existe des blogs féminins, de la chick-lit, des magazines féminins.  Il ne s'agit évidemment pas de tenir les garçons et hommes pour responsables de ces privilèges dont ils bénéficient bien malgré eux pour certains. Mais il s'agit de les nommer, les montrer et surtout tenter de les faire évoluer.
Bien évidemment l'étude des privilèges (de genre, de race, de classe etc) ne s'étudient qu'à autres privilèges égaux. Il n'aurait pas de sens, par exemple de comparer la situation d'un homme SDF et de Ségolène Royal.
Ce texte a avant tout pour but de montrer que ce qu'on appelle la domination masculine, le sexisme, sont des réalités. Nos sociétés élèvent leurs garçons en les considérant comme supérieurs aux filles et les préparent à avoir un rôle central dans la société alors que les femmes sont préparées à un rôle passif, subalterne.

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