Juin 072016
 

Hier, Buzzfeed US a publié la lettre qu'une victime de viol a souhaité lire au violeur qui l'a agressée pendant le procès. Une twitta Queer becca m'a gentiment proposé de la traduire.
Elle a également été traduite par Buzzfeed France.

Je souhaitais voir cette lettre traduite car elle est importante ; non pas parce qu'elle représente l'ensemble des victimes de viols, non pas parce qu'elle permet de comprendre les traumatisme après un viol. Toutes les victimes sont différentes ; il serait absurde de penser qu'elles réagissent toutes de la même façon. Cette lettre est importante parce qu'elle illustre ce que nous appelons la culture du viol. Elle illustre ce que quasi toute victime - homme comme femme - a pu entendre à un moment de sa vie ; le déni, la minimisation et la culpabilisation. Ici c'est le violeur qui est essentiellement porteur des propos culpabilisants, parfois ca sera la police, la famille, le petit ami, les amis, les collègues.
Il serait dangereux de penser que le violeur tient ce genre de propos parce qu'il est un violeur ; avant de l'être, il est aussi un homme lambda, qui tient des propos d'homme lambda comme on peut en entendre chaque jour à propos de chaque affaire de viol.

Voilà je vous laisse avec ce texte. Merci encore à la traductrice qui a travaillé seule, vite et beaucoup.

Votre honneur, pour la majeure partie de ma déclaration, j'aimerais m'adresser à l'accusé directement
Tu ne me connais pas, mais tu as été en moi, et c'est pour cela que nous sommes là aujourd'hui.
Le 17 janvier 2015, était un samedi soir tranquille à la maison. Mon père avait préparé à manger, et j'étais attablée avec ma petite sœur, en visite pour le week-end. Je travaillais à temps plein, et l'heure d'aller me coucher approchait. J'avais prévu de rester seule à la maison, regarder un peu la télé et lire, pendant qu'elle, allait faire la fête avec ses ami.e.s. Puis, vu que c'était ma seule nuit avec elle, je n'avais rien de mieux à faire, alors pourquoi pas, il y a une fête à 2 balles, à 2 minutes de chez moi, j'allais m'y rendre, danser stupidement, et embarrasser ma petite sœur. Sur le chemin, j'ai plaisanté sur le fait que les étudiant.es de 1ere année porteraient des appareils dentaires. Ma sœur m'a charriée sur le fait que je portais un cardigan beige, comme le ferait une bibliothécaire, à une fête étudiante. Je me suis donné le surnom de « Big Mama », car je savais que j'allais être la plus vieille là-bas. J'ai fait des grimaces, j'ai baissé ma garde, et bu bien trop vite de l'alcool, oubliant le fait que ma tolérance avait fortement diminué depuis le lycée.
Tout ce dont je me souviens ensuite, c'est que j'étais dans un brancard. J'avais du sang séché et des bandages sur le dos des mains et au niveau de mes coudes. J'ai pensé que j'étais peut être tombée, et que je me trouvais dans un bureau de l'administration du campus. J'étais très calme, et je me suis demandé où ma sœur pouvait bien se trouver. Un officier de police est alors venu m'expliquer que j'avais été agressée sexuellement. Toujours aussi calme, je lui ai dit qu'il devait s'adresser à la mauvaise personne, je ne connaissais personne à cette fête. Quand on m'a finalement autorisée à utiliser les toilettes, j'ai baissé le pantalon d’hôpital qu'ils m'avaient fourni, puis j'allais baisser ma culotte, mais je n'ai rien senti. Je me rappelle encore de la sensation de mes mains qui touchent ma peau, et qui se referment sur du vide. J'ai baissé la tête pour regarder et je n'ai rien vu. La fine pièce de tissu, la seule chose entre mon vagin et tout le reste avait disparu et tout en moi se tut. Je n'ai toujours pas de mots pour décrire cette sensation. Pour pouvoir continuer à respirer, j'ai pensé que le policier l'avait découpée pour s'en servir comme preuve.
Puis, j'ai senti des aiguilles de pin qui me démangeaient l'arrière de la nuque, et j'ai commencé à les retirer de mes cheveux. J'ai pensé que peut-être les aiguilles de pin étaient tombées sur ma tête alors que j'étais sous un arbre. Mon cerveau s'adressait à mes tripes, pour leur dire de ne pas s'évanouir. Parce que mes tripes étaient en train de crier : « Aide-moi, aide-moi ! »
Je me suis traînée de pièce en pièce, enroulée dans une couverture, disséminant des aiguilles de pin derrière moi, en en laissant un petit tas dans chacune des pièces où je m'asseyais. On m'a demandé de signer un papier qui disait «Victime de viol» et je me suis mise à penser que quelque chose était vraiment arrivé. Mes vêtements m'ont été confisqués, et je me trouvais nue tandis que les infirmières mesuraient et photographiaient les différentes écorchures présentes sur mon corps.
Nous avons toutes les trois enlevé les aiguilles de pin de mes cheveux, six mains pour remplir un sac en papier. Pour me calmer, elles me disaient que c'était juste la faune et la flore, la faune et la flore.
Plusieurs écouvillons ont été insérés à l'intérieur de mon vagin et de mon anus, on m'a fait des piqûres, donné des médicaments, j'ai eu un appareil photo pointé entre mes 2 jambes. Je me suis retrouvée avec de longs spéculums en moi, et mon vagin enduit avec de la peinture bleue pour y chercher des écorchures.
Après quelques heures de ces traitements, ils m'ont laissée me doucher. Je me tenais là, examinant mon corps sous les jets d'eau, et j'ai décidé que dorénavant, je ne voulais plus de mon corps. Il me terrifiait, je ne savais pas qui l'avait pénétré, s’il avait été contaminé, qui l'avait touché. Je voulais me débarrasser de mon corps comme on enlève une veste, et le laisser à l’hôpital avec tout le reste.
Cette même matinée, la seule chose qui m'avait été dite, c'est que j'avais été trouvée derrière un container à poubelles, que j'avais été peut-être pénétrée par un étranger, et que je devais me faire retester pour le sida, car les résultats ne sont pas toujours concluants la première fois. Mais que pour le moment, je devais rentrer chez moi, et retrouver ma vie normale. Imaginez reprendre pied avec la réalité, avec seulement cette information. Ils m'ont fait de gros câlins, et je suis sortie de l’hôpital, sur le parking, portant le pantalon et le pull qui m'avaient été fournis, vu que l'on m'avait seulement autorisée à garder mon collier et mes chaussures.
Ma sœur est venue me récupérer, le visage mouillé de larmes et pétrie d'angoisses. J'ai désiré la rassurer immédiatement. Je l'ai regardée, je lui ai demandé de me regarder, je suis là, je vais bien. Tout va bien, je suis là. Mes cheveux sont propres et ont été lavés, ils m'ont donné le shampoing le plus étrange, calme-toi et regarde-moi. Regarde ce pantalon et ce sweat bizarre, j'ai l'air d'une profe de sport, rentrons à la maison, allons manger quelque chose. Elle ne savait pas que sous mon jogging, j'avais des griffures et des pansements, que mon vagin était douloureux, et qu'il avait pris une étrange couleur sombre en à cause de toutes les insertions, que ma culotte avait disparu, et que j'étais trop vide pour continuer à parler. Que j'étais également effrayée, que j'étais dévastée. Ce jour-là, nous sommes rentrées à la maison, et pendant des heures ma sœur m'a, en silence, serrée dans ses bras.
Mon petit ami n'a pas su ce qui était arrivé, mais il m'a appelée ce jour-là, et m'a dit : «Je me suis vraiment inquiété pour toi la nuit dernière, tu m'as fait peur, est-ce que tu es bien rentrée chez toi ?»
J'étais terrifiée. C'est là que j'ai appris que je l'avais appelé cette nuit là, durant mon trou noir, laissé un message vocal incompréhensible, et que nous avions également parlé au téléphone, il se faisait du souci pour moi car j'avais du mal à articuler, il m'a répété plusieurs fois d'aller trouver ma sœur. Une fois encore, il m'a demandé : «Que s'est-il passé la nuit dernière ? Est-ce que tu es bien rentrée à la maison ?» Je lui ai répondu que oui, et j'ai raccroché pour me mettre à pleurer.
Je n'étais pas prête à dire à mon petit ami ou à mes parents, qu'en fait, j'avais été probablement violée derrière un container à poubelles, mais que je ne savais pas par qui, quand, ou comment. Si je leur disais, je savais que j'allais voir la peur sur leurs visages, et que la mienne allait se multiplier par dix. Au lieu de ça j'ai prétendu que tout ça n'était jamais arrivé.
J'ai tenté de sortir tout ça de mon esprit, mais c'était trop difficile. Je ne parlais plus, je ne mangeais plus, je ne dormais plus, je n'interagissais plus avec personne. Après le travail, je me rendais dans des endroits isolés pour pouvoir crier. Je ne parlais plus, je ne mangeais plus, je ne dormais plus, je n'avais plus d'interactions avec personne, et je me suis isolée des personnes que j'aimais le plus.
Pendant toute une semaine après l'incident, je n'ai eu aucun appel et aucune nouvelle à propos de cette nuit, ou ce qu'il avait pu m'arriver. La seule chose qui prouvait que ce n'avait pas été juste un mauvais rêve, c'était le pull de l’hôpital que j'avais dans mes tiroirs.
Un jour, alors que j'étais au travail, feuilletant les nouvelles, je suis tombée sur un article. Dedans j'ai lu et appris comment j'avais été trouvée inconsciente, mes cheveux ébouriffés, mon collier enroulé autour de mon cou, mon soutien-gorge enlevé de ma robe, cette dernière retirée de mes épaules et remontée au-dessus de la taille, que j'étais nue jusqu'à mes bottes, les jambes écartées, et que j'avais été pénétrée par un objet inconnu, par quelqu'un que je n'ai pas reconnu. C'est comme ça que j'ai appris ce qui m'était arrivé, assise à mon bureau, lisant les infos au boulot. J'ai appris ce qui m'était arrivé en même temps que le monde apprenait ce qui m'était arrivé. C'est là que les aiguilles de pin dans mes cheveux ont fait sens, elles ne venaient pas d'un arbre. Il m'avait enlevé ma culotte, ses doigts m'avaient pénétrée. Je ne connais pas cette personne. Je ne connais toujours pas cette personne. Lorsque j'ai lu ce qui m'était arrivé, je me suis dit : Ce n'est pas moi, ce n'est pas moi. Je ne pouvais rien digérer ou accepter de ce qui était écrit. Je ne pouvais pas imaginer ma famille lire ça sur Internet. J'ai continué à lire. Dans le paragraphe suivant, j'ai lu quelque chose que je n'oublierai jamais. J'ai lu que selon lui j'avais aimé ça. Que j'avais aimé ça.
Encore une fois, je n'ai pas de mots pour décrire ça.
C'est comme si vous lisiez un article sur une voiture ayant eu un accident, et qu'on a trouvée cabossée dans un fossé. Peut-être que la voiture avait aimé avoir un accident. Peut-être que l'autre voiture n'avait pas voulu lui créer un accident, seulement lui rentrer un peu dedans. Les voitures ont des accidents tout le temps, les gens ne sont pas toujours très attentifs, qui peut dire qui est vraiment fautif ?
Et là, en bas de l'article, après que j'eusse appris les moindres détails de mon agression sexuelle, l'article donnait ses temps de natation. Elle a été trouvée, respirant encore, mais ne répondant plus, ses sous-vêtements à 30 cm de son ventre nu, recroquevillée en position fœtale. Au fait, il est vraiment bon en natation. Mettez aussi ma vitesse, si c'est ce qu'on censé faire. La fin d'un article, est je pense là ou vous listez vos capacités pour annuler toutes les choses horribles qui ont pu arriver.
Le soir où l'article est sorti, j'ai demandé à mes parents de s'asseoir, et je leur ai dit que j'avais été agressée sexuellement, de ne pas regarder l'info car c'était trop pénible, qu'ils devaient juste savoir que j'allais bien et que j'étais là. Mais alors que j'en étais à la moitié de mon récit, ma mère devait me tenir car je ne tenais plus debout.
La nuit suivant l'agression sexuelle, il a répondu qu'il ne connaissait pas mon nom, qu'il ne serait pas capable de m'identifier dans une file, n'a mentionné aucune conversation entre nous deux, rien. Juste une danse et des baisers. Danser est un terme mignon ; était-ce des claquements de doigts et de tournoiements, ou juste des corps frottant l'un contre l'autre dans une pièce bondée? Je me demande si ces baisers étaient juste des visages mollement pressés l'un contre l'autre? Quand l'inspecteur lui a demandé s’il avait prévu de me ramener à son dortoir, il a répondu non. Quand l'inspecteur lui a demandé comment nous nous étions retrouvés derrière la benne à ordures, il a répondu qu'il ne savait pas. Il a admis avoir embrassé d'autres filles durant cette fête, l'une d'entre elle était ma sœur qui l'a repoussé. Il a admis avoir voulu tirer un coup avec quelqu'un. J'étais la plus faible du troupeau, complètement isolée et vulnérable, physiquement incapable de me défendre par moi-même, et c'est sur moi qu'il a jeté son dévolu. Parfois, je me dis que cela ne serait jamais arrivé si je n'y était pas allée. Mais j'ai réalisé que cela serait arrivé, mais à quelqu'un d'autre. Tu étais sur le point d'accéder à quatre ans de filles bourrées et de fêtes, et si c'est comme ça que tu démarres, alors il est normal que tu ne puisses pas continuer. La nuit après que c'eût été arrivé, il a dit qu'il pensait que j'avais aimé ça car j'avais caressé son dos. Une caresse dans le dos.
Il n'a jamais mentionné un consentement de ma part, ne nous a même pas mentionnés discutant, juste une caresse dans le dos. Encore une fois, dans le journal, j'ai appris que mes fesses et mon vagin étaient complètement à découvert dehors, mes seins avaient été tripotés, des doigts insérés violemment en moi en même temps que des aiguilles de pin et des débris, ma peau et mon visage frottés à même le sol derrière une benne à ordures, pendant qu'un tout jeune étudiant en érection fourrait mon corps inconscient et à moitié nu. Mais je n'en ai aucun souvenir, alors comment prouver que je n'ai pas aimé ça ?
J'ai pensé qu'il n'y aurait aucune chance que cela finisse en procès. Il y avait des témoins, des saletés dans mon corps, il a fui mais a été retrouvé. Qu'il allait régler ça, s'excuser platement, et qu'on passerait tous les deux à autre chose. Au lieu de ça, on m'a dit qu'il avait engagé un puissant avocat, des experts en témoignage, des détectives privés qui allaient essayer et trouver des détails à propos de ma vie privée pour s'en servir contre moi, trouver des failles dans mon histoire pour nous discréditer ma sœur et moi, dans le but de prouver que cette agression sexuelle était en réalité un malentendu. Qu'il allait utiliser tous les moyens possibles pour convaincre le monde qu'il avait été simplement trompé.
On ne m'a pas seulement dit que j'avais été agressée sexuellement, on m'a dit que parce que je ne pouvais pas m'en rappeler, techniquement, je ne pouvais pas prouver que ce n'était pas désiré. Et cela m'a fait du mal, cela m'a endommagée, cela m'a presque brisée. C'est la confusion la plus déprimante qui puisse être faite, j'ai été agressée sexuellement, presque violée, dehors à la vue de tous, mais on ne sait pas si cela compte comme une agression sexuelle. J'ai du me battre pendant une année pour montrer que quelque chose n'allait pas avec cette situation.
Quand on m'a dit que je devais me préparer au cas où l'on ne gagnerait pas l'affaire, j'ai dit que ne pouvais pas me préparer à ça. Il était coupable à la minute où je me suis réveillée. Personne ne pouvait me dissuader du mal qu'il m'avait fait. Le pire de tout, c'est que j'avais été avertie : Maintenant, il sait que tu ne te souviens pas, c'est lui qui va écrire l'histoire. Il peut dire ce qu'il veut et personne ne peut contester. Je n'avais pas de pouvoir, pas de voix, j'étais sans défense. Ma perte de mémoire serait utilisée contre moi. Mon témoignage était faible, incomplet, et on m'a fait croire que je n'avais pas assez pour gagner. Son avocat a sans cesse rappelé au jury, que le seul qu'on pouvait croire était Brock, car je n'avais aucun souvenir. Cette impuissance était traumatisante.
Au lieu de prendre du temps pour me soigner, j'ai pris du temps pour me souvenir de la nuit dans ses moindres détails, dans le but de me préparer aux questions de l'avocat qui seraient envahissantes, agressives, et auraient pour but de me déstabiliser, de nous contredire moi et ma sœur, tournées dans le but de manipuler mes réponses. Son avocat, au lieu de dire : «Avez-vous remarqué des écorchures?» demandait : «Vous n'avez pas remarqué d'écorchures, n'est-ce pas?» Tout cela faisait partie d'une stratégie. L'agression sexuelle était claire, mais au lieu de ça, je me retrouvais au procès en train de répondre à des questions telles que :
« Quel âge avez-vous ? Combien pesez-vous ? Qu'avez-vous mangé ce jour là ? Qu'avez-vous mangé durant le dîner ? Qui a préparé le dîner ? Avez-vous bu durant le dîner ? Non, même pas de l'eau ? Quand avez-vous bu ? Qu'avez-vous bu ? Dans quoi avez-vous bu ? Qui vous a donné à boire ? Combien de verre avez-vous l'habitude de boire ? Qui vous a déposée à cette fête ? À quelle heure ? Mais où exactement ? Que portiez-vous ? Pourquoi alliez-vous à cette fête ? Qu'avez-vous fait quand vous êtes arrivée ? Êtes-vous sure que vous avez fait ça ? Que veux dire ce SMS ? À qui envoyiez-vous des SMS ? Quand avez-vous uriné ? Où avez-vous uriné ? Avec qui avez-vous uriné à l’extérieur ? Votre portable était-il en silencieux quand votre sœur vous a appelée ? Vous rappele- vous de l'avoir mis sur silencieux ? Vraiment, car à la page 53 j'aimerais souligner que vous aviez dit qu'il était prêt à sonner. Buviez-vous au lycée ? Avez-vous dit que vous étiez une fêtarde ? Combien de trous noirs avez vous déjà eus ? Allez-vous dans les fêtes étudiantes ? Êtes-vous fidèle avec votre petit ami ? Êtes-vous sexuellement active avec lui? Quand avez-vous commencé à sortir ensemble ? Le tromperiez-vous ? Avez-vous déjà trompé quelqu'un par le passé ? Qu'avez-vous voulu dire quand vous avez dit que vous vouliez le récompenser ? Vous souvenez-vous l'heure à laquelle vous vous êtes levée ? Portiez-vous votre cardigan ? De quelle couleur était votre cardigan ? Vous souvenez-vous d'autre chose durant cette nuit ? Non ? Très bien, alors laissons Brock compléter cette histoire. »
J'étais assaillie de questions réductrices qui disséquaient ma vie privée, ma vie amoureuse, mon passé, ma vie familiale, des questions ineptes, accumulant des détails sans importance pour essayer de trouver une excuse à ce gars qui m'a mise à moitié nue, avant même de se soucier de me demander mon nom. Après une agression physique, j'ai été harcelée de questions destinées à m'attaquer, à dire « Regardez, ses dires ne concordent pas, elle ne sait pas ce qu'elle dit, c'est pratiquement une alcoolique, elle voulait probablement baiser, c'est comme s’il était un athlète, ils étaient tous les deux saouls, peu importe ce dont elle se souvient à l’hôpital, cela arrive après les faits, pourquoi prendre cela en compte, Brock a beaucoup à perdre, il traverse une période difficile en ce moment. »
Et est venu le moment pour lui de témoigner, et j'ai appris ce que cela voulait dire d'être à nouveau une victime. J'aimerais vous rappeler que la nuit après que cela soit arrivé, il a dit qu'il n'avait jamais eu l'intention de me ramener à son dortoir. Il a dit n'avoir aucune idée de pourquoi nous étions derrière une benne à ordure. Il a dû partir car il ne se sentait pas bien quand il a soudain été poursuivi et attaqué. Ensuite il a appris que je ne me souvenais de rien.
Une année après, donc, une nouvelle histoire est apparue. Brock avait une nouvelle histoire plutôt étrange, qui sonnait presque comme si elle avait été maladroitement écrite par un jeune adulte, avec des baisers et des danses, des mains qui se tenaient et s'écroulant amoureusement au sol, et le plus important, c'est que dans cette histoire, tout d'un coup il y avait du consentement. Un an après l'incident il s'en est souvenu, ah oui, au fait, elle a dit oui, à tout.
Il a dit qu'il m'avait demandé si je voulais danser. J'ai apparemment dit oui. Il m'a demandé si je voulais aller à son dortoir, j'ai dit oui. En suite il m'a demandé s’il pouvait me doigter et j'ai dit oui. La plupart des garçons, ne demandent pas « Est-ce que je peux te doigter ? » D'habitude il y a une progression naturelle des choses, se dévoilant de façon consensuelle, pas une séance de questions/réponses. Mais apparemment, je lui ai donné une totale permission. Il est très clair. Même dans son histoire, je n'ai dit que 3 mots, oui, oui et oui, avant qu'il ne me mette au sol à moitié déshabillée.
Voilà une info pour le futur, si tu ne sais pas si une fille peut consentir, regarde si elle peut prononcer une phrase complète. Tu n'as même pas pu faire ça. Juste une suite cohérente de mots. Où est la confusion là dedans ? C'est juste du bon sens.
Selon lui, la seule raison pour laquelle nous nous trouvions à terre, c'est parce que j'étais tombée. Écoute bien : si une fille tombe par terre, aide-la à se relever. Si elle est trop saoule pour simplement marcher et se relever, ne la chevauche pas, ne la baise pas, ne lui enlève pas sa culotte pour insérer ta main dans son vagin. Si une fille tombe, relève la. Si elle porte un cardigan par dessus sa robe, ne lui enlève pas pour pouvoir toucher ses seins. Peut-être qu'elle a froid, c'est peut-être pour ça qu'elle porte un cardigan.
La suite de l'histoire, c'est que deux mecs à moto se sont approchés de toi, et tu t'es enfui. Pourquoi, quand ils t'ont plaqué au sol, ne leur as-tu pas dit : « Arrêtez, elle va bien, demandez-lui, elle est là-bas, elle vous le dira. » Tu m'avais bien demandé mon consentement, non ? J'étais bien consciente, non ? Quand le policier est arrivé et a interrogé le vilain mec qui t'a plaqué, il ne pouvait pas parler tellement ce qu'il avait vu le faisait pleurer.
Ton avocat a sans cesse pointé du doigt le fait qu'on ne pouvait pas savoir, quand elle était devenue inconsciente. Et tu as raison, peut-être que je bougeais encore les yeux et que je n'étais pas encore complètement amorphe. Ce n'est pas important. J'étais trop saoule pour parler anglais, trop saoule pour consentir bien avant que je me retrouve allongée sur le sol. Je n'aurais jamais dû être touchée.
Brock a déclaré : « À aucun moment je n'ai constaté qu’elle ne répondait pas. Si à un seul moment je m'étais rendu compte qu'elle ne répondait pas, j'aurais arrêté immédiatement. » Voilà le truc : si ton plan était d'arrêter au moment où je ne pouvais plus répondre, c'est alors que tu ne comprends toujours rien. Même quand j'étais inconsciente, tu n'as pas arrêté. Quelqu'un d'autre à dû le faire. Deux mecs à moto ont remarqué dans le noir que je ne bougeais plus, et ont dû te plaquer au sol. Comment n'as-tu pu rien remarquer alors que tu étais au-dessus de moi ?
Tu dis que tu te serais arrêté et que tu serais allé chercher de l'aide. Tu dis ça, mais je veux que tu expliques comment tu m'aurais aidée, pas à pas, à travers tout cela. Je veux savoir, si ces vilains mecs ne m'avaient pas trouvée, comment la nuit se serait déroulée. Je me demande : Aurais-tu remis ma culotte par dessus mes bottes ? Défait le collier enroulé autour de ma nuque ? M'aurais-tu resserré les jambes et m'aurais-tu couverte ? Enlevé les aiguilles de pin de mes cheveux ? M'aurais-tu demandé si les écorchures sur ma nuque et mes fesses me faisaient mal ? Aurais-tu été chercher un ami pour lui dire : « Aide-moi à la ramener au chaud et dans un endroit confortable. » Quand je pense à ce qu'il aurait pu se passer si ces deux mecs n'étaient pas arrivés, je ne peux pas fermer l’œil. Que me serait-il arrivé ? Pour ça tu n'auras jamais de réponse, ça tu ne peux pas l'expliquer même un an après.
Pour couronner le tout, il affirme que j'ai joui une minute, après une minute de pénétration avec les doigts. Les infirmières ont dit qu'il y avait eu des écorchures, des lacérations et de la terre dans mes parties génitales. Est-ce arrivé avant ou après que j'aie joui ?
Déclarer sous serment à nous tous, que oui je l'avais voulu, que oui je l'avais permis, et que tu es la vraie victime de ces deux personnes qui t'ont attaqué sans que tu ne saches pourquoi, c'est épouvantable, fou, égoïste et blessant. C'est une chose d'être blessée, c'en est une autre d'avoir quelqu'un qui travaille sans relâche pour diminuer la gravité de cette souffrance légitime.
Ma famille a dû voir des photos de ma tête attachée à un brancard plein d'aiguilles de pin, de mon corps dans la boue, avec les yeux fermés, mes cheveux en bataille, mes membres pliés, et ma robe relevée. Et même après ça, ma famille a dû écouter ton avocat dire que les photos avaient été prises après l'événement, que l'on pouvait les rejeter. Entendre l'infirmière confirmer qu'il y avait des rougeurs et des écorchures à l'intérieur de moi, des traumatismes significatifs au niveau de mes parties génitales, mais que c'est ce qui arrivait quand ont doigte quelqu'un, et il avait déjà corroboré ça. Écouter ton avocat dresser un portrait de moi, le portait d'une fille déchainée, ce qui justifierait ce qui m'est arrivé. L'écouter dire que j'avais l'air saoule en parlant au téléphone à cause de ma façon loufoque et stupide de m'exprimer. De préciser que dans le message vocal, je parlais de récompenser mon copain, et que nous savions tous à quoi je pensais. Je vous assure que mes récompenses ne sont pas transmissibles, et sûrement pas à des inconnus qui pourraient m'approcher.
Il a causé des dommages irréversibles à moi et à ma famille durant le procès et nous sommes restés assis, l'écoutant silencieusement modeler l’histoire de la soirée. Mais finalement, son témoignage peu crédible et la logique tordue de son avocat n'ont trompé personne. La vérité s'est imposée et a parlé d'elle-même.
Tu es coupable, 12 jurés t'ont déclaré coupable de 3 crimes, au delà de toute possibilité d'innocence de ta part, cela fait 12 votes par crimes, 36 votes qui les confirment, une condamnation sans appel. Je pensais alors que c'était terminé, qu'il reconnaîtrait ce qu'il avait fait, qu'il s'excuserait sincèrement, que nous avancerions tout les deux, et irions mieux. Et puis j'ai lu ta déclaration.
Si tu espères qu’un de mes organes va imploser à cause de la colère et que je vais en mourir, j'en suis presque là. Tu n'es pas très loin de la vérité. Ce n'est pas une autre histoire de baise alcoolisée, imprégnée de mauvaises décisions. Quelque part tu ne comprends toujours pas, quelque part tu parais toujours confus. Je vais maintenant lire des passages des déclarations de l'accusé et y répondre.
Tu as déclaré : « Étant bourré, je ne pouvais pas prendre les meilleures décisions, tout comme elle ne le pouvait pas. »
L'alcool n'est pas une excuse. Est-ce que c'est un facteur ? Oui. Mais ce n'est pas l'alcool qui m'a déshabillée, m'a doigtée, trainant ma tête sur le sol, alors que j'étais pratiquement nue. Avoir trop bu est une erreur de débutant je l’admets, mais ce n'est pas un crime. Tout le monde dans cette pièce a déjà, ou connait quelqu'un qui, durant une soirée, a regretté d'avoir trop bu. Regretter d'avoir trop bu, ce n'est pas la même chose que de regretter une agression sexuelle. Nous étions tous les deux bourrés, la différence c'est que je ne t'ai pas enlevé ton pantalon et ton caleçon, t'ai fait subir des attouchements, et ai pris la fuite. Là est la différence.
Tu as déclaré : « Si je voulais la connaître, j'aurais dû lui demander son numéro, plutôt que de lui proposer de la ramener dans ma chambre. »
Je ne suis pas en colère parce que tu ne m'as pas demandé mon numéro. Même si tu me connaissais, je n'aurais pas voulu être dans cette situation. Mon copain me connaît, mais s’il m'avait demandé de me doigter derrière une benne à ordure, je l'aurais giflé. Aucune fille ne veut se retrouver dans cette situation. Aucune. Je me fiche de savoir si tu as leur numéro ou non.
Tu as déclaré : « J'ai bêtement pensé que c'était possible pour moi de faire ce que tout le monde faisait autour de moi, ce qui voulait dire boire. J'avais tort. »
Encore une fois, tu n'es pas coupable d'avoir bu. Tout le monde autour de toi n'était pas en train de m'agresser sexuellement. Tu es en tort pour avoir fait ce que personne autour de toi ne faisait, c'est-à-dire presser ton sexe en érection contre mon corps nu et sans défenses, bien à l'abri dans une zone sombre, où les gens qui faisaient la fête ne pouvaient plus me voir ou me protéger, et où ma propre sœur ne pouvait pas me trouver. Tu n'es pas coupable d'avoir bu des shots, m'enlever et jeter ma culotte comme un emballage de bonbon pour insérer tes doigts dans mon corps, c'est là qu'est ton erreur. Pourquoi ai-je encore besoin d'expliquer ça ?
Tu as déclaré : « Durant le procès, je n'ai pas voulu la victimiser. C'est la faute de mon avocat et sa façon de définir les choses. »
Ton avocat n'est pas ton bouc émissaire, il te représente. Ton avocat a-t-il dit des choses inconcevables, rageantes, dégradantes ? Tout à fait. Il a dit que tu as eu une érection, parce que tu avais froid.
Tu as déclaré que tu es en train de mettre en place un programme à destination des universités et des lycées où tu parleras de ton expérience « pour dénoncer la culture de l'alcool sur les campus et la promiscuité sexuelle qui s'en suit. »
La culture alcoolisée des campus. C'est cela que l'on dénonce ? Tu penses que c'est ça contre quoi je me suis battue durant toute l'année précédente ? Pas la prévention à propos des agressions sexuelles sur les campus, ou le viol, ou apprendre à reconnaître le consentement ? La culture alcoolisée des campus. En finir avec le Jack Daniels, ou la vodka. Si tu veux parler de l'alcool à des gens, va à une réunion des alcooliques anonymes. Tu te rends compte qu'avoir un problème avec la boisson, est complètement différent de boire et de forcer quelqu'un à avoir un rapport sexuel? Apprends aux mecs comment respecter les filles, pas à moins boire.
La culture de l'alcool et la promiscuité qui s'en suit. Qui s'en suit, comme un effet secondaire, comme un accompagnement dans ton assiette. Quand est-ce que la promiscuité rentre en jeu ? Je ne vois pas de gros titres qui disent : « Brock Turner, coupable d'avoir trop bu et de la promiscuité sexuelle qui s'en suit. ». « Les agressions sexuelles sur les campus. » Voilà le titre de tes diaporamas. Sois-en assuré, si tu échoues à définir le titre de ton exposé, je te suivrai dans n'importe quelle classe où tu iras, et je donnerai un exposé complémentaire.
Enfin, tu as déclaré : « Je veux montrer aux gens qu'une nuit passée à boire peut ruiner une vie. »
Une vie, une seule, la tienne, tu as oublié la mienne. Laisse-moi corriger ta phrase : « Je veux montrer aux gens qu'une nuit passée à boire peut ruiner deux vies. » La tienne et la mienne. Tu en es la cause, j'en suis la conséquence. Tu m'as fait vivre l'enfer avec toi, tu m'as fait revivre cette nuit encore et encore. Tu as détruit nos deux mondes, le mien s'est effondré en même temps que le tien. Si tu penses que j'ai été épargnée, que j'en suis sortie indemne, qu'aujourd'hui j'en suis sortie sans aucune conséquence, pendant que toi, tu subis les plus graves conséquences, tu te trompes. Personne n'en est sorti vainqueur. Nous avons tous été dévastés, nous avons tous essayé de chercher une signification à toute cette souffrance. Ta souffrance était concrète : on t'a enlevé tes titres, tes diplômes, ton inscription à la fac. Mes blessures à moi se trouvaient à l'intérieur, invisibles, je les porte avec moi. Tu m'as pris ma valeur en tant que personne, ma vie privée, mon énergie, mon temps, ma sécurité, mon intimité, mes secrets, ma propre voix, jusqu'à aujourd'hui.
Tu vois, nous avons une chose en commun : c'est que nous avons tout les deux du mal à nous lever le matin. Je sais ce que ça fait de souffrir. Tu as fait de moi une victime. Dans les journaux, mon nom c'était « une femme alcoolisée et inconsciente » : 10 syllabes, et rien de plus. Pendant longtemps, j'ai cru que c'est tout ce que j'étais. J'ai dû me forcer pour réapprendre mon nom, mon identité. J'ai dû réapprendre que je n'étais pas qu'une victime. Que je ne suis pas juste une fille victime de l'alcool à une fête étudiante, pendant que toi tu es le nageur modèle d'une université prestigieuse, innocent jusqu'à preuve du contraire, avec tant à perdre. Je suis un être humain qui a été blessé de façon irrémédiable, ma vie a été mise sur pause durant une année, en attendant de savoir si je valais quelque chose.
Mon indépendance, ma joie, ma gentillesse, et mon mode de vie qui était stable, se sont vus déformés au-delà du possible. Je suis devenue renfermée, en colère, me dévalorisant, j'étais fatiguée irritable, vide. L'isolement à ce moment-là me faisait souffrir. Tu ne peux pas me redonner la vie que j'avais avant cette nuit-là. Pendant que tu te souciais de ta réputation en miettes, moi je mettais des cuillères au frigo toutes les nuits, comme ça lorsque je me levais et que mes yeux étaient gonflés par les pleurs, je prenais les cuillères et les appliquais sous mes yeux pour diminuer les gonflements, ce qui me permettait de pouvoir voir à nouveau. Tout les jours, j'arrivais une heure en retard au travail, je m'excusais d'aller pleurer dans les escaliers, je peux te citer les meilleurs endroits pour pleurer sans que personne ne t'entende. C'était tellement douloureux que j'ai dû expliquer à mon patron tous les détails pour qu'il comprenne la raison de mon départ. J'avais besoin de temps, parce que continuer comme ça chaque jour n'étais plus possible. Je me suis servi de mes économies pour m'éloigner le plus possible. Je ne suis pas retournée au boulot pleinement, car j'allais devoir prendre des semaines pour me rendre aux interrogatoires et au procès, qui était sans cesse repoussé. Ma vie a été mise en pause durant un an, mon monde s'est effondré.
La nuit, je suis incapable de dormir si je n'ai pas une lumière allumée, comme si j'avais cinq ans, car j'avais peur de faire des cauchemars, où l'on me toucherait sans que je puisse me réveiller. J'ai aussi fait ce truc qui consistait à attendre que le soleil se lève et que je me sente assez en sécurité pour pouvoir dormir. Pendant 3 mois je suis allée me coucher à six heures du matin.
J'étais fière de mon indépendance, dorénavant j'ai peur d'aller me promener le soir, d'aller à des soirées boire avec des amis auprès desquels je pourrais me sentir bien. Je suis devenue un petit Bernard l'Hermite, ayant toujours besoin de quelqu'un à ses cotés, d'avoir mon petit ami à mes cotés, dormant à coté de moi, me protégeant. C'est embarrassant à quel point je me sens faible, comment je continue à vivre timidement, toujours sur mes gardes, prête à me défendre, prête à être en colère.
Tu n'as aucune idée de combien il a été difficile de reconstruire des parties de moi, qui aujourd'hui sont toujours faibles. Cela m'a pris huit mois pour simplement parler de ce qui m'est arrivé. Je ne pouvais plus avoir de contact avec mes amis, avec n'importe qui autour de moi. Je criais sur mon petit ami, sur ma famille, quand ils essayaient d'aborder le sujet. Tu ne m'as jamais laissé oublier ce qui m'était arrivé. À la fin des auditions, du procès, j'étais trop épuisée pour pouvoir parler. J'étais vidée, silencieuse. Je suis rentrée à la maison, j'ai éteint mon téléphone, et durant des jours je n'ai parlé à personne. Tu m'as envoyée sur une planète où je vis seule. Chaque fois qu'un nouvel article voyait le jour, je vivais avec la peur paranoïaque que toute ma ville natale découvre et sache que c'était moi la fille qui a été agressée sexuellement. Je ne voulais que personne ait pitié de moi, et je suis toujours en train d'accepter le fait qu'être une victime fait partie de mon identité. Tu as fait de ma propre ville natale, un endroit où je ne me sens pas à l'aise.
Tu ne peux pas me rendre les nuits où je n'ai pas dormi. Le fait que je me sois effondrée en larmes si je regardais un film avec une fille qui était blessée, pour le dire simplement, cette expérience a augmenté mon empathie pour les autres victimes. J'ai perdu beaucoup de poids à cause du stress, alors que les gens pensaient que c'est parce que j'avais beaucoup couru ces derniers temps. Il y a des périodes pendant lesquelles je ne veux pas qu'on me touche. Je dois à nouveau apprendre que je ne suis pas fragile. Que je peux faire des choses, que je suis équilibrée, que je ne suis pas que livide et fragile.
Quand je vois ma petite sœur souffrir, qu'elle est incapable de travailler à l'école, quand elle est privée du fait d'être joyeuse, quand elle n'arrive pas à dormir, quand elle pleure tellement au téléphone qu'il lui devient dur de respirer, me répétant encore et encore qu'elle est désolée de m'avoir laissée seule cette nuit là, désolée, désolée, désolée. Quand elle se sent plus coupable que toi, alors là je ne te pardonne pas. Cette nuit, j'aurais dû l’appeler pour essayer de la trouver, mais tu m'as trouvée en premier. La conclusion de ton avocat commence comme ça : « Sa sœur a dit qu'elle allait bien, et qui la connaît mieux que sa sœur ? » Tu as tenté d'utiliser ma sœur contre moi ? Tes arguments était tellement faibles, tellement invraisemblables, que c'était presque embarrassant. Ne t'avise pas de la toucher.
Tu n'aurais jamais dû me faire ça. Deuxièmement, tu n'aurais jamais dû m'obliger à me battre pendant si longtemps pour te dire que tu n'aurais jamais dû me faire ça. Mais voilà, ce qui est fait est fait, personne ne pourra changer ça. On a maintenant tous les deux un choix à faire. On peut laisser ça nous détruire. Je peux continuer à être blessée et en colère, et toi tu peux continuer à être dans le déni, ou alors nous pouvons y faire face tous les deux, j'accepte la douleur, tu acceptes la punition, et nous passons à autre chose.
Ta vie n'est pas finie, tu as encore des dizaines d'années devant toi pour réécrire ton histoire. Le monde est vaste, il ne s'arrête pas à Palo Alto et à Stanford, tu vas pouvoir trouver ta place, une place où tu pourras être utile et être heureux. Mais pour le moment, tu ne peux plus hausser les épaules et prétendre qu'il y a eu une confusion. Tu ne peux pas prétendre qu'il ne s'est rien passé. Tu as été accusé de m'avoir violée, intentionnellement, de m'avoir forcée, sexuellement, tu avais l'intention de nuire, et tout ce que tu admets c'est d'avoir bu de l'alcool. Ne viens pas parler de la manière dont ta vie a pris un tournant dramatique parce que l'alcool t'a fait faire de mauvaises choses. Essaye de savoir comment prendre tes responsabilités pour ce que tu as fait.
Pour en venir à la sentence, quand j'ai lu le rapport du contrôleur judiciaire, je ne pouvais pas y croire, j'étais pleine de colère, qui a fini par se transformer en une profonde tristesse. Mon témoignage a été déformé et sorti de son contexte. Je me suis durement battue durant ce procès, et je n'accepterai pas que les conclusions soient minimisées par un contrôleur judiciaire qui a tenté d'évaluer mon état et mes désirs en quinze minutes de conversation, dont la majorité du temps a été utilisé pour répondre à mes questions sur le système judiciaire. Le contexte est également quelque chose d'important. Brock n'a pas encore dit ce qu'il avait à déclarer, et je n'ai pas lu ses remarques.
Ma vie a été mise en pause durant une année. Une année de colère, d'angoisse et de doutes, jusqu’à ce qu'un jury de mes pairs rende un jugement qui validait les injustices que j'avais dû endurer. Si Brock avait admis ses torts et qu'il avait des remords, qu'il s'était proposé de régler les choses bien avant, j'aurais considéré la possibilité d'une peine plus légère, prenant en compte son honnêteté, reconnaissante que nos vies puissent avancer. Au lieu de cela, il a pris le risque d'aller au tribunal, a ajouté des insultes à la douleur, et m'a forcée à revivre les douloureux détails de ma vie sexuelle et de ma vie privée, brutalement mises à la vue de tous. Il m'a poussé moi et ma famille, durant une année, à travers des souffrances inutiles et inexplicables, et il doit subir les conséquences d'avoir tenté d'esquiver ses crimes, d'avoir questionné ma souffrance, de nous avoir fait attendre pendant si longtemps le travail de la justice.
J'ai dit au contrôleur judiciaire que je ne désirais pas voir Brock pourrir en prison. Je ne dis pas qu'il ne mérite pas d'être derrière des barreaux. La proposition du contrôleur judiciaire qui est de moins d'une année dans la prison du comté est bien trop indulgente, c'est se moquer de la gravité de ses agressions, c'est une insulte envers moi et toutes les femmes. C'est un message qui dit à quelqu'un que vous ne connaissez pas, qu'il peut vous pénétrer sans consentement, et que pour cela il recevra moins que la peine minimale prévue. Il ne devrait pas y avoir de conditionnelle. J'ai aussi dit au contrôleur judiciaire que ce que je voulais pour Brock c'est qu'il comprenne, qu'il comprenne et qu'il admette ce qu'il a fait de mal.
Malheureusement, après avoir lu les déclarations de l'accusé, je suis profondément déçue, et je sens qu'il n'exprime sincèrement aucun regret ou aucune responsabilité pour ce qu'il a fait. Je respecte totalement son droit à avoir un procès équitable, mais même après que douze jurés l'ont unanimement considéré comme coupable de trois crimes, la seule chose qu'il admette c'est d'avoir consommé de l'alcool. Quelqu'un qui ne prend pas la pleine mesure des ses actions ne mérite pas d'avoir une moitié de sentence. C'est extrêmement blessant de tenter de dissimuler un viol derrière de la promiscuité. Par définition, le viol ce n'est pas une absence de promiscuité, le viol est une absence de consentement, et cela me perturbe fortement qu'il n'arrive pas à faire la différence.
Le contrôleur judiciaire a conclu que l'accusé est jeune, et qu'il n'avait aucune condamnation auparavant. Selon moi, il est assez vieux pour se rendre compte que ce qu'il a fait est mal. Dans ce pays vous pouvez partir à la guerre à l'âge de 18 ans. À 19 ans, vous êtes assez vieux pour subir les conséquences dues au fait que vous avez tenté de violer quelqu'un. Il est jeune, mais il est suffisamment vieux pour s'en rendre compte.
En raison du fait que ceci est une première condamnation, je comprends qu'on puisse tenter d'être clément.e. D'un autre côté, notre société, ne peut pas pardonner à tout le monde sa première agression sexuelle, ou un viol où l'on se sert de ses doigts. Cela n'a aucun sens. La gravité d'un viol doit être claire, nous ne devons pas créer une culture où l'on montre que le viol est quelque chose de grave seulement car cela conduit à un procès. Les conséquences d'une agression sexuelle doivent être suffisamment sévères pour que l'on puisse exercer un jugement clair, même si l'on a trop bu. Assez sévère pour être dissuasif.
Le contrôleur judiciaire a insisté sur le fait qu'il ait dû abandonner une scolarité qu'il a durement gagnée grâce à la natation. La vitesse à laquelle Brock nage, n'a pas à atténuer la gravité de ce qu'il m'est arrivé, et ne doit pas atténuer la sévérité de sa condamnation. Si c'était la première condamnation pour agression sexuelle d'une personne d'un milieu moins privilégié, accusée de trois crimes, et qui aurait nié toutes les accusations autres que celles d'avoir trop bu, quelle aurait été sa sanction ? Le fait que Brock soit un athlète d'une université privée ne devrait pas être une raison pour être clément, mais une opportunité de montrer à tous que les agressions sexuelles sont illégales, quelle que soit la classe sociale.
Le contrôleur judiciaire a conclu dans cette affaire, que comparé aux autres crimes de même nature, cela pouvait être considéré comme moins grave parce que l'accusé avait trop bu. C'était grave. C'est tout ce que j'ai à dire.
Qu'a-t-il fait pour prouver qu'il méritait qu'on le laisse tranquille ? Il s'est seulement excusé d'avoir bu, et n'a toujours pas reconnu que ce qu'il m'a fait subir est une agression sexuelle. À nouveau, il a fait de moi une victime, continuellement et sans relâche. Il a été reconnu coupable de trois crimes, et il est temps pour lui d'accepter les conséquences de ses actes. Il ne mérite aucune excuse.
Il sera à tout jamais vu comme un agresseur sexuel. Cela ne s'effacera jamais, comme ce qu'il m'a fait ne s'effacera jamais. Cela ne s'en va pas après quelques années. Cela fera toujours partie de moi, c'est une partie de mon identité. Cela a changé pour toujours mon fardeau, la façon dont je vivrai le reste de ma vie.
En conclusion, je voudrais dire merci. Merci à l'interne qui m'a fait du porridge ce matin-là, quand je me suis réveillée à l’hôpital, à l'officier de police qui a attendu avec moi, aux infirmières qui m'ont apaisée, à l'inspecteur qui m'a écoutée et qui ne m'a jamais jugée. À mes avocats qui m'ont apporté un soutien indéfectible, à mon thérapeute qui m'a appris à trouver du courage dans ma vulnérabilité, à mon patron pour avoir été sympathique et compréhensif, à mes incroyables parents qui m'ont appris à transformer ma douleur en force, à ma grand-mère qui a introduit du chocolat dans ce tribunal pour pouvoir venir me le donner, à mes ami.e.s qui m'ont rappelé comment être heureuse, à mon petit ami pour sa patience et son amour, à mon invincible sœur qui est l'autre moitié de mon cœur, à Alaleh, mon idole, qui s'est battue sans relâche et n'a jamais douté de moi. Merci à tous ceux impliqués dans ce procès pour leur temps et leur attention. Merci aux filles à travers le pays qui ont écrit des cartes à mon avocat pour pouvoir me les donner, à tous ces inconnus qui tenaient à moi.
Plus important, je veux remercier les deux hommes qui m'ont sauvée, que je n'ai pas encore pu rencontrer. Je dors avec deux motos que j'ai dessinées au-dessus de mon lit, pour ne pas oublier qu'il y a des héros dans cette histoire. Que l'on fait attention les uns aux autres, avoir senti qu'ils me protégeaient et qu'ils m'aimaient, c'est quelque chose que je n'oublierai jamais.
Enfin, à toutes les filles autour du monde, je suis avec vous. Durant les nuits où vous vous sentez seules, je suis avec vous. Quand les gens doutent de vous ou remettent en cause vos dires, je suis avec vous. Je me bats chaque jour pour vous, alors n'arrêtez jamais de vous battre, je vous crois. Comme l'a dit un jour l'auteure Anne Lamott : « Les phares ne parcourent pas une île pour chercher des bateaux à secourir, ils se tiennent là et rayonnent. » Même si je ne pourrai pas sauver tout les bateaux, j'espère qu'en m'exprimant aujourd'hui, vous avez engrangé un peu de lumière, quelque chose qui vous fait savoir qu'on ne peut pas vous faire taire, une minuscule satisfaction que justice ait été faite, et que vous soyez un peu plus assurée que nous y arrivons, et sachez par dessus tout que vous êtes importantes, que personne ne peut vous remettre en question, que personne ne peut vous atteindre, que vous êtes magnifiques. Que l'on doit vous donner de la valeur, vous respecter de façon indéniable, chaque minute de chaque jour, vous êtes puissantes et personne ne peut vous enlever ça. Aux filles du monde entier, je suis avec vous. Je vous remercie.

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