Août 142014
 

Je vais vous résumer le livre d'Ann Laura Stoler La chair de l'empire Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial.

L'étude de Stoler porte essentiellement sur les Indes néerlandaises entre la fin du 19eme siècle et le début du 20ème siècle, comme la colonie de Deli à Sumatra.
Etudier l'intimité permet d'identifier les enjeux politiques dans la définition du privé et du public.
L'autorité coloniale repose sur deux prémisses fausses :
- les européens constituent une entité biologique et sociale identifiable
- les frontières entre colonisateurs et colonisés sont faciles à identifier

Elle articule dans ce livre les relations entre genre, race et pouvoir.

Le racisme ne sert pas uniquement à justifier la prolongation du colonialisme et de la suprématie blanche mais sert également une logique de classe.
Ainsi l'on dissimulait les blancs pauvres, indigents, fous, malades ou âgés afin qu'ils n'entament pas le prestige racial blanc. Les administrateurs sont mis à la retraite dés 55 ans afin que les colonisés ne les voient pas vieillir et déchoir.
On évitait de trop faire venir des pauvres et si des colons s'appauvrissent on les renvoie chez eux. Un blanc pauvre pourrait en effet être amené à fréquenter des colonisés et, par sa pauvreté ou sa faiblesse physique, être moins respecté d'eux et ainsi nuire à la réputation de l'empire. On ne souhaite pas non plus que les blancs pauvres aient des relations avec les femmes colonisées ce qui engendrerait des enfants à coup sûr délinquants ; la délinquance étant calculée au pourcentage de sang indigène du coupable.
On leur interdit de se marier et de faire venir des femmes blanches car l'état ne veut pas voir des familles blanches pauvres qui nuiraient au prestige de la race

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  9 réponses sur “Résumé de La chair de l’empire Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial”

  1. Très intéressant, en particulier — à mon avis — le premier paragraphe sur la race. On voit comment concrètement un État peut construire une race et faire une véritable mise en scène de la vie quotidienne à l'échelle des colonies. Quand on y pense, c'est assez incroyable. D'autre part, j'ai lu http://clio.revues.org/11792, et il est indiqué que c'est un ensemble d'articles indépendants ; c'est dommage que le résumé ne soit pas découpé en sections correspondant à un article, même si on peut se débrouiller pour reconstituer quoi correspond à quoi avec la table des matières en ligne. Plus important, il manque le contexte exact, on ne sait pas vraiment de quels pays l'auteure parle ici. Un peu plus on avait une vraie fiche de lecture.

    Sinon j'ai une petite série de questions :
    – je ne sais pas si ça concernait les colonies françaises, mais penser que le métissage est meilleur que d'avoir des femmes dans les colonies me semble contradictoire avec l'idée très en vogue à la fin du XIXe et début du XXe que le métissage entraîne la dégénérescence des peuples. Est-ce que l'auteure aborde ce point ? Dans le cas contraire, en quoi on peut dire qu'il n'y a pas contradiction entre les deux ?
    – est-ce que l'auteure aborde en détails la conception exacte des colons de la différence entre un homme indigène qui a des relatons sexuelles avec une femme blanche et un homme blanc qui a des relations sexuelles avec une femme indigène ? En partant du résumé, je pourrais conjecturer que les hommes indigènes sont vus comme plus proches des animaux et donc comme souillant les femmes blanches, tandis que l'homme blanc lui éduque car civilisé, mais je préférerais savoir ce que dis l'auteure sur cette différenciation ;
    – en quoi les femmes métis assument des charges masculines ?
    – est-ce que l'auteure différencie bien le pouvoir de la domination ? Je fais référence aux définitions de Weber (chap. 1 §16, p. 95 de l'édition Pocket de 1995), qui posent que le pouvoir est la possibilité de faire triompher sa volonté malgré la volonté d'autrui, tandis que la domination est l'obéissance spontanée (sur la base de règles, de valeurs, de buts à atteindre, de sentiments ou d'habitudes). Ça me semble important car ça permet de mieux penser l'intersection entre race et genre, en se demandant dans quelle mesure les femmes indigènes ou blanches sont contraintes, suivent spontanément des normes, voire les promeuvent.

    • Oups, je cite Économie et société tome 1.

    • - "Plus important, il manque le contexte exact, on ne sait pas vraiment de quels pays l'auteure parle ici."
      ==> deuxième phrase de mon texte : "L'étude de Stoler porte essentiellement sur les Indes néerlandaises entre la fin du 19eme siècle et le début du 20ème siècle, comme la colonie de Deli à Sumatra."
      - "mais penser que le métissage est meilleur que d'avoir des femmes dans les colonies".
      tu peux lire la deuxième partie de mon texte où j'explique que l'idée de dégénérescence date du début du 20eme siècle et pas avant. Avant comme cette idée n'existe pas, on préfère, comme je l'ai expliqué longuement, laisser pratiquer le concubinage.
      - "est-ce que l'auteure aborde en détails la conception exacte des colons de la différence entre un homme indigène qui a des relatons sexuelles avec une femme blanche et un homme blanc qui a des relations sexuelles avec une femme indigène"
      comme expliqué également dans mon texte. un homme indigène qui aurait des relations sexuelles avec une femme blanche serait vu comme un violeur et exécuté. Il n'existe aucune espèce de relations entre hommes indigènes et femmes blanches. c'est à peu près comme demander s'il y avait des relations entre noirs esclaves et femmes blanches dans l’Amérique esclavagiste.
      - "– en quoi les femmes métis assument des charges masculines ?" ==> comme il n'y a plus de père (le blanc les a abandonnés), elles assument tous les rôles dont celui du père. Cela confirme encore l'idée que les enfants métis vont avoir une vision viciée des rôles parentaux.
      - "est-ce que l'auteure différencie bien le pouvoir de la domination ?" je suis censée savoir si l'auteure répond bien à la définition que tu as du pouvoir ? lis le livre.

      • Désolé, hier soir j'ai peut-être été excessivement sec, d'où ta réponse un peu agacée (il me semble). Simplement, je vois que quelqu'un a lu un livre intéressant et veut faire part de son contenu, pourquoi ne pas en profiter pour avoir des détails, comme on pose des questions à un professeur ? Je ne cherche pas la petite bête pour ensuite critiquer.

        Pour la réponse « comme il n'y a plus de père (le blanc les a abandonnés), elles assument tous les rôles dont celui du père. Cela confirme encore l'idée que les enfants métis vont avoir une vision viciée des rôles parentaux », merci beaucoup, je comprends mieux certains passages du résumé. Ça fait le lien entre le départ des occidentaux et la représentation des enfants métis comme un problème pour l'État.

        Sinon, je trouve « essentiellement les indes néerlandaises » vague, sachant qu'un même pays a pu coloniser et dominer des cultures très différentes. Ça compte. D'autre part, de mes souvenirs de mes cours de démographie, la représentation de la dégénérescence comme une menace date bien du XIXe ; Villermé par exemple employait ce terme.

        Ensuite, j'ai bien lu ton article, et j'ai bien compris qu'il n'y avait pas de relations entre hommes indigènes et femmes blanches : ma question portait sur les représentations de ces relations, pas sur leur existence réelle. Je reformule donc : est-ce que l'auteure aborde, ou donne des éléments pour comprendre pourquoi la relation homme blanc/femme indigène est représentée positivement, alors que l'inverse non ? On aurait pu penser au contraire que comme l'idéologie coloniale repose entre autres sur l'idée d'éduquer des peuples vus comme inférieurs et infantilisés, et que la femme est vue comme devant dispenser des soins aux enfants et les éduquer jusqu'à un certain âge, les relations homme indigène/femme blanche auraient pu être représentées positivement.

        Enfin, la définition du pouvoir que je donne n'est pas la mienne mais celle du sociologue Max Weber. Voici comment il distingue le pouvoir de la domination :

        Puissance [Macht] signifie toute chance de faire triompher au sein d'une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance. Domination [Herrschaft] signifie la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre [Befehl] de contenu déterminé ; nous appelons discipline [Disziplin] la chance de rencontrer chez une multitude déterminable d'individus une obéissance prompte, automatique et schématique, en vertu d'une disposition acquise.

        1. Le concept de « puissance » est sociologiquement amorphe. Toutes les qualités concevables d'un homme et toutes les constellations possibles peuvent mettre un individu dans la nécessité de faire triompher sa volonté dans une situation donnée. C'est pourquoi le concept sociologique de « domination » exige d'être précisé davantage : il ne peut que signifier la chance pour un ordre de rencontrer une docilité.

        À noter qu'il définit en gros l'ordre comme l'orientation des activités sociales (qui fait quoi envers qui sur quels principes d'action).

        D'après la table des matières, l'auteure utilise les notions de Foucault, pas celles de Weber. Mais je sais que la tradition marxiste mélange allègrement pouvoir et domination dans le terme de « domination », mais je ne sais pas vraiment si c'est le cas dans la tradition foucaldienne, d'où ma question : est-ce que l'auteure mélange les deux ou ne prend pas vraiment le temps de les distinguer, ou distingue-t-elle clairement l'usage de la violence de l'obéissance à l'État ou à des normes sociales ?

        Merci d'avoir pris le temps de me répondre.

        • Si tu veux quand je m'emmerde à résumer un livre et que ta réponse est "Un peu plus on avait une vraie fiche de lecture." j'ai en effet juste envie de te dire d'aller voir ailleurs si j'y suis. Tu n'es pas "sec", tu débarques en terrain conquis pour avoir les réponses que tu veux. Si tu me considères comme un prof, sachant que je ne connais aucun prof bénévole je t'invite à m'envoyer un salaire rapidement.

          " Ça fait le lien entre le départ des occidentaux et la représentation des enfants métis comme un problème pour l'État." non. cela fait le lien entre des particuliers qui abandonnent leur famille, pas les occidentaux en général.

          "Sinon, je trouve « essentiellement les indes néerlandaises » vague, sachant qu'un même pays a pu coloniser et dominer des cultures très différentes"
          et la fin de la phrase parle de la colonie de Deli. Cela te semble assez précis ?

          " la représentation de la dégénérescence comme une menace date bien du XIXe ; Villermé par exemple employait ce terme."'
          Ce n'est pas parce que quelques savants emploient ce terme, qu'il s'est diffusé, a pénétré les mentalités collectives et est devenu un projet collectif pour l'empire. enfin l'idée de dégénérescence naît en France en effet mais met sans doute plus de temps à se diffuser ailleurs.

          "Je reformule donc : est-ce que l'auteure aborde, ou donne des éléments pour comprendre pourquoi la relation homme blanc/femme indigène est représentée positivement, alors que l'inverse non ? On aurait pu penser au contraire que comme l'idéologie coloniale repose entre autres sur l'idée d'éduquer des peuples vus comme inférieurs et infantilisés, et que la femme est vue comme devant dispenser des soins aux enfants et les éduquer jusqu'à un certain âge, les relations homme indigène/femme blanche auraient pu être représentées positivement."
          Il n'y a aucune société où les peuples colonisés ont accès aux femmes des colonisateurs.
          Les femmes sont vues comme des êtres fragiles qui ne sont pas censés avoir beaucoup de contact avec les colonisés qui pourraient les influencer et les corrompre. les femmes sont vues comme un bien. tu semble partir du principe qu'il y a juste le prisme de la race ; il y a aussi le prisme du genre. une femme blanche donc n'a pas les mêmes droits sexuels qu'un homme blanc.
          Une femme qui couche avec un être vu comme impur est considérée comme impure à son tour ce qui n'est pas le cas d'un homme ; c'est toujours symboliquement le réceptacle qui est souillé (enfin ce qui est vu comme réceptacle). (ex du viol d'ailleurs).
          L'idéologie coloniale ne repose pas sur l'idée d'éduquer les peuples ; cela peut - rarement - être le cas mais il n'y a strictement aucun intérêt colonial à éduquer des gens qu'on considère comme inférieurs et qui pourraient ensuite, éduqués, devenir des éléments séditieux (il y a de nombreuses études sur le % d'alphabétisation avant et pendant les colonies françaises au Maghreb par exemple).
          une femme qui couche avec un indigène est irrémédiablement corrompue, salie, souillée et jamais plus un homme blanc ne voudrait la fréquenter ou avoir des relations avec elle. une femme par essence est souillée si elle a des relations sexuelles non autorisées alors d'autant plus avec ceux qui sont considérés comme des êtres inférieurs. les relations sexuelles qu'une femme peut avoir ne peuvent pas être étudiées comme celles qu'un homme peut avoir.
          symboliquement la pénétration est considérée comme une empreinte, une prise de pouvoir, une marque témoignant de la possession, il est tout donc à fait impossible qu'une relation s'établisse entre une femme blanche et un homme indigène.
          il n'y a donc aucune possibilité de représenter positivement l'idée d'une telle relation.
          la seule façon de la représenter est sous la forme du black peril qui corromprait et abattrait durablement l'empire.

          "est-ce que l'auteure mélange les deux ou ne prend pas vraiment le temps de les distinguer, ou distingue-t-elle clairement l'usage de la violence de l'obéissance à l'État ou à des normes sociales ?"
          il y a tout un chapitre où l'auteure montre que faire des femmes blanches des agents conscients de l'empire sans tenir compte du prisme du genre est, à son sens une erreur. je ne sais si cela répond à ta question. je n'ai pas d'autre réponse à y faire.

          • Une femme qui couche avec un être vu comme impur est considérée comme impure à son tour ce qui n'est pas le cas d'un homme ; c'est tjs symboliquement le réceptacle qui est souillé (enfin ce qui est vu comme réceptacle) [...] symboliquement la pénétration est considérée comme une empreinte, une prise de pouvoir, une marque témoignant de la possession, il esttotu donc à fait impossible qu'une relation s'établisse entre une femme blanche et un homme indigène.

            Ah, oui, effectivement, l'explication était simple. Mais efficace. Merci, j'avais du mal à démêler tout ça. Cependant, je ne part d'aucun principe par rapport à la race ou au genre, je ne sais pas où tu es allée pêcher ça.

            Ce n'est pas parce que quelques savants emploient ce terme, qu'il s'est diffusé, a pénétré les mentalités collectives et est devenu un projet collectif pour l'empire.

            Moi je dis parce que par exemple Villermé avait une certaine influence sur les élites. C'était une idée dans l'air du temps, ça aurait donc pu créer des désaccords.

            L'idéologie coloniale ne repose pas sur l'idée d'éduquer les peuples

            Faux. Par exemple : http://lmsi.net/La-mission-civilisatrice-Premiere ou encore http://1libertaire.free.fr/RacismDifferentialist07.html Ça correspond bien à ce que j'ai appris en cours d'anthropologie.

            et la fin de la phrase parle de la colonie de Deli. Cela te semble assez précis ?

            L'auteure fait aussi des comparaisons entre les colonies française et néerlandaises. Parfois dans le résumé on ne sait pas ce qui concerne quels pays et quels États, c'est tout : c'est dommage de perdre en précision sur ces points là.

            Pour ce qui est de tes pré-suppositions quant à mes intentions ("terrain conquis", "vouloir des réponses", WTF ?!) et du fait que tu veuilles faire passer pour une agression au lieu d'une maladresse le fait que je dise que tu aurais pu faire un peu mieux car tu étais très proche d'avoir un véritable texte de référence réutilisable par toi-même et d'autres — c'est-à-dire une fiche de lecture —, ça se passe de commentaire.

  2. [...] Résumé de La chair de l'empire Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial. Je vais vous résumer le livre d'Ann Laura Stoler La chair de l'empire Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial. [...]

  3. Merci Valérie pour ce résumé très intéressant.

  4. Merci beaucoup !

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