Avr 212016
 

En quelques jours, j'ai pu assister à plusieurs scènes très caractéristiques de la relation des hommes au féminisme.
Si vous interrogez beaucoup de hommes dits de gauche en 2016, ils se diront tout à fait féministes mais viendra le moment où il faudra transformer l'essai. Viendra le moment où il faudra assister à du militantisme féministe. Viendra le moment où il faudra écouter les femmes parler de sexisme. Et là ces fameux hommes de gauche auront beaucoup de mal.

Il y a quelques jours donc, une femme s'est plainte d'avoir été agressée sexuellement à Nuit debout à Paris.  En tant que militante féministe, qui travaille plus particulièrement sur les violences sexuelles, ce genre de récit me met chaque fois en colère. Je me souviens à ce moment là de toutes les femmes qui ont été limitées dans leurs mouvements, leurs loisirs, leur vie car elles ont été agressées sexuellement. On sait très bien que tant que la société n'aura pas définitivement pris en compte ce problème comme un problème systémique et non pas individuel que cela perdurera. On fait donc avec. On sait qu'aller dans une foule nous expose à des risques. On sait qu'inviter quelqu'un chez soi nous expose à des risques. On sait qu'aller chez un homme nous expose à des risques. On sait que côtoyer des hommes nous expose à des risques. C'est ainsi.
Suite à ce témoignage d'autres femmes sont intervenues pour témoigner de la même expérience à Nuit debout.
Et, aussitôt, comme à chaque fois (COMME A CHAQUE FOIS) un homme est intervenu pour dire qu'il n'avait pas constaté ce genre de comportements et que ca n'était pas l'esprit de Nuit debout. J'ai donc un message à adresser aux agresseurs sexuels.  Messieurs, soyez un peu responsables. Portez de grands panneaux avec marqué "agresseur sexuel" et sonnez le clairon avant d'agresser que tout le monde soit prévenu. Certains ne font apparemment pas confiance aux femmes agressées ; peut-être feront-ils confiance aux agresseurs ?
Les femmes agressées ont donc remis en place cet homme. S'en est donc suivie une longue conversation que j'ai suivie silencieusement. Comme toujours, ont complètement été mis de côté les agressions faites à ces femmes parce qu'il fallait se recentrer sur les sentiments que ressentait ce garçon qui se sentait blessé et vexé qu'on ne lui ai pas dit les choses poliment. C'est à chaque fois stupéfiant pour moi et tellement blessant ; une femme parle de son viol et de son agression mais elle devrait encore se préoccuper des sentiments des hommes qui écoutent. Ce qui devient le plus important n'est pas le fait de trouver un moyen de mettre fin aux agressions et au viol mais de ne pas blesser les hommes qui écoutent. Cet homme n'a pas eu de parole de soutien ou de réconfort face à ces femmes, il n'a pas souhaité en savoir plus sur la place des femmes dans l'espace public, comme elles le vivent et comment les hommes les y accueillent. Il a juste eu besoin qu'on lui dise qu'il était gentil. Cette indifférence là face à ce qu'avaient subi les femmes était d'une grande violence à lire. Pour lui, comme pour tant d'autres, ce qui était choquant n'est pas que des femmes soient agressées mais qu'elles soient agressives.

La deuxième conversation a eu lieu hier où une féministe demande "aux copines féministes" d'aider une de ses amies victime de menaces de mort par son ex ; elle cherchait une association pouvant fournir par exemple une aide juridique. Elle nous met un screenshot des sms de l'ex qui sont d'une extrême violence. Face à ce genre d'urgence, il n'y a pas grand chose à faire. Soit on a des idées, des conseils, des adresses et on les donne. Soit on n'en a pas et on se tait. Un homme a jugé bon de réagir à l'expression "copines féministes" et de se sentir exclu. Encore une fois cet égoïsme absolu, décomplexé, total m'a sidérée. Cet homme se sentait exclu du sujet, il voulait pouvoir dire qu'il était attristé par cette situation . Il n'a pas eu une parole de tristesse face à ce que subissait cette femme, il a simplement eu envie de parler de lui, de ce qu'il ressentait lorsqu'on ne lui demandait pas son avis et qu'on ne le sollicitait pas. La première phrase de cet homme avait été de se plaindre qu'on l'empêchait de compatir ; pourtant il n'a jamais compati, il a parlé de lui et de ses sentiments.

Et c'est cela qu'on constate chaque fois, y compris lorsqu'on parle des sujets comme le viol ou la violence conjugale. On aura toujours plusieurs hommes qui auront besoin qu'on cesse de parler du sexisme, pour parler de leur ressenti face au sexisme.
Il sont tous contre le viol, contre le sexisme, contre les violences sexo-spécifiques mais ils sont surtout pour le fait de pouvoir le dire. Ile veulent de la place pour en parler entre eux et nous dire qu'ils sont contre le viol. Enfin les viols qu'ils constatent. Les viols qu'ils valident. Il faut aussi qu'on consacre une large part à leur ressenti et leurs sentiments ce qui montre qu'ils n'en ont au fond pas grand chose à foutre de ce qu'on vit.

Une grande partie des hommes qui lira ce texte va d'ailleurs discuter de "généralités que je fais"  qui "les blesse" et "les amalgame" et pas du sexisme.

 

On voit surgir aujourd'hui beaucoup de questionnements face à certaines commissions en non mixité à Nuit debout. Et bien c'est pour ce genre de raisons ; parce que nombre d'entre vous sont toxiques et que comme nous ne sommes pas extra-lucides, il est plus facile de vous considérer comme tous toxiques. Injustice ? Le sexisme est une injustice. Les racismes sont une injustice. L'homophobie est une injustice. La transphobie est une injustice.  Exclure les hommes de quelques réunions pour un temps donné, ne constitue pas une discrimination systémique ; cela n'est donc pas une injustice. Je ne vois jamais ces amateurs de mixité manifester leur désapprobation de manière claire à la non mixité installée de fait et partout (conseils d'administrations, sénat, assemblée nationale... tip ; si vous avez envie de me montrer les quelques photos de femmes sénatrices ou députées vous venez de valider ma démonstration. Quand on peut encore sortir et exhiber ce genre de photos, c'est qu'elles sont peu nombreuses).
La non mixité est nécessaire aux féministes. Elle est vitale. Beaucoup de femmes ce matin témoignaient de leur expériences de réunions mixtes pour parler du sexisme ; toutes ont témoigné qu'une immense partie de la réunion s'est passée à re-expliquer que le sexisme est une réalité. Très peu de temps est consacré à la lutte contre le sexisme ; on passe plus de temps à en expliquer l'existence et à rassurer les hommes présents.
Je ne saurais pas expliquer la violence que cela peut constituer pour moi car j'ai au fond fini par l'intégrer je crois. Je parle (généralement) des sujets validés par les non féministes ; les violences sexuelles. Lorsque mes articles étaient ouverts aux commentaires, on passait un temps assez monstrueux avec des habitué-es, à expliquer aux nouveaux venus qu'ils n'étaient pas visés. C'est là qu'est la violence ; je parle des dizaines de milliers de viols vécus chaque années par des femmes et des hommes sont tellement passionnés par le sujet qu'ils préfèrent parler d'eux et de leur resenti. Comment voulez-vous ensuite ne pas avoir l'impression d'une profonde et totale indifférence ?
La non mixité permet de passer à l'essentiel : trouver des moyens de lutte, trouver des moyens d'action.

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  •  21 avril 2016
  •  Publié par à 12 h 15 min
  •   Commentaires fermés sur Non mixité : l’agressivité des agressées
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