Août 032015
 

Naomi Wolf a montré dans "Quand la beauté fait mal. Enquête sur la dictature de la beauté" combien les femmes étaient soumises à des injonctions autour de leur physique, injonctions en général inatteignables ; il suffit d'ouvrir un magazine féminin pour s'en convaincre en regardant des minces mannequins blanches et blondes de 16 ans vanter le succès de crèmes anti rides et de produits anticellulite.

Ces injonctions conduisent donc en général les femmes à se dévaloriser quand elles ne les amènent pas à souffrir de différentes pathologies comme l'ont montré Susan Faludi et Mona Chollet en détaillant les maladies associées à des crèmes, des produits à injecter ou des opérations esthétiques ou à l'injonction d'être le plus mince possible. " [Les diktats esthétiques] contribuent à aggraver ce sentiment d'isolement dont souffrent les femmes des années quatre-vingts, car ils font de leur malaise un problème individuel, indépendant de toute pression sociale et curable si elles se conforment aux canons universels de la beauté en modifiant leur apparence physique" dit ainsi Faludi.

Les femmes sont donc dépendantes de l'approbation des autres, en particulier des hommes et se soumettent à des parcours harassants, entre maquillage, régimes et opérations pour tenter de "valoir quelque chose" ; cette injonction à la beauté est encore plus forte pour les femmes racisées qui doivent non seulement valoir quelque chose face aux hommes en général mais aussi face aux femmes blanches.  Les femmes vivent donc sur un sentiment de culpabilité permanent à l'idée de pas être arrivées à être minces, jeunes et belles.

Elles sont donc soumises aux regards extérieurs, vulnérables et en attente face à ces regards qui les valideront et leur diront si elles valent ou non quelque chose. Susan Faludi montre que dans les années 70, décennie où les mouvements des femmes ont été extrêmement vivaces et puissants, les industries cosmétiques ont vu leur chiffre d'affaires chuter drastiquement. Cela montre bien que les industries cosmétiques exploitent le manque de confiance en soi des femmes, le développent et  vendent aux femmes des produits censés les en guérir. Lorsque les femmes gagnent en empowerment, elles subissent moins les diktats esthétiques.

Les femmes sont victimes, tout au long de leur vie, de harcèlement sexuel dans l'espace public, d'agressions sexuelles et de viols. On estime, par an, à 86 000 le nombre de femmes entre 18 et 75 ans victimes de viols et de tentatives de viols.  Le Haut Conseil à l'Egalité estime à 100% le nombre de femmes ayant déjà vécu une situation de harcèlement sexuel dans l'espace public.

Lorsqu'une femme raconte avoir été victime de harcèlement dans la rue, beaucoup d'hommes ont tendance à penser qu'elle exagère, c'est à dire qu'elle interprète comme harcèlement une situation qui ne l'était pas. Ils considèrent comme normal qu'un homme apostrophe une femme inconnue dans l'espace public car ils ne remettent pas en cause le fait que les hommes parlent aux femmes dans la rue ou esquissent certains gestes ; ce qu'ils nient est la gravité du geste ou de la parole et l'interprétation que la femme en a fait. Les hommes ne disent pas qu'elle a eu une hallucination auditive et qu'en fait personne ne lui a rien dit mais qu'elle s'est trompée sur le sens de ce qu'on lui a dit. "Après tout, disent-ils, on a bien le droit de faire un compliment aux femmes" "et puis c'est sans arrière-pensée" sans se rendre compte que ce "on" désigne uniquement le groupe des hommes , qui aussi dénué d'arrière-pensée soit-il, ne va pas jusqu'à dire à un autre homme qu'"il est bien beau ce matin". Il ne leur vient pas à l'idée que seul le groupe des hommes aborde le groupe des femmes pour valider leur physique et uniquement leur physique ; encore une fois s'il n'y avait aucune connotation (hétéro)sexuelle là-dedans alors les hommes complimenteraient (comme ils disent) aussi d'autres hommes.
Ainsi, bien peu d'hommes remettent en cause l'idée qu'on peut parler à une femme dans la rue pour la complimenter parce qu'il est bien admis par tous qu'une femme doit être belle et qu'il faut le lui dire car une femme n'existe pas sans validation masculine de son physique et que c'est flatteur pour elle de l'entendre fusse à coups d'insultes.

Dans ce contexte-là, les femmes qui subissent du harcèlement sexuel, sont assez démunies. Il faut du temps à la plupart des femmes pour comprendre que cette situation n'est pas normale ; après tout on leur a appris qu'il faut être belles et c'est ce que semblent leur démontrer les harceleurs quelle que soit la façon dont ils l'expriment. C'est d'ailleurs ce que leur dit leur entourage lorsqu'elles racontent les harcèlements subis : "tu es jolie comme un cœur en même temps ! "  et "c'est pas aux moches que ca arrive tu sais !" Les femmes victimes subissent alors une triple contrainte ; elles ont subi toute leur vie des injonctions à être belles, on leur affirme que c'est cette beauté qui a causé leur harcèlement ce qui prouve qu'elles ont donc réussi à l'être. Le harcèlement sexuel devient donc une sorte d'ultime validation du physique des femmes ; lorsqu'on est harcelée c'est  qu'on est jolie donc qu'on a atteint ce que devrait souhaiter toute femme.

Cette affirmation est tout aussi frappante dans le contexte du viol.
Lorsque Nafissatou Diallo a dit avoir été violée, son physique a été la première chose à être utilisé pour remettre en cause ses dires ; elle aurait été trop laide pour qu'un homme tel que DSK puisse la violer. On se demande ce qui signifie cette phrase. Quels hommes, qui ne seraient pas tels que DSK donc, auraient envie de la violer ? Qu'est-ce que cette société là où on commente le physique des femmes qui parlent de viol pour savoir si elles sont violables ou non ?
Ce genre de réflexions n'est pas isolée. Lorsque les victimes présumées de Bill Cosby ont posé en une du New York Magazine, beaucoup ont scruté leur physique et leur corps pour voir si Cosby avait bien pu vouloir envie de les violer ; on reste coi devant de telles initiatives soit-dit en passant. Lorsque Madonna a parlé en mars 2015 du viol subi lorsqu'elle avait 19 ans, nombreux ont dit que cela ne risquait plus de lui arriver comme si c'était quelque chose qu'elle aurait du regretter, comme si elle devait souhaiter pouvoir être encore "en état" d'être violée.
La femme victime subit donc une double indignité ; le crime qu'elle a subi est nié et son physique n'est pas validé ce qui, on l'a vu, lui assure une mort sociale rapide puisqu'une femme ne peut exister qu'à travers cette fameuse validation. Cette habitude qu'ont certains hommes de commenter le physique des femmes violées, laisse aussi entendre qu'ils se sont mis à la place du violeur pour voir s'ils auraient pu accomplir cet acte là ; ce qui leur pose alors problème pour l'accomplir n'est pas que ce soit un crime mais le physique de la victime. Ils ne se demandent pas s'ils ont envie de commettre un crime mais si la victime valait suffisamment le coup pour le commettre.

Le physique des femmes est donc considéré dans une société patriarcale comme devant être validé tout au long de leur vie par les hommes ; les femmes doivent pour cela s'astreindre à des régimes, des soins divers et variés souvent dangereux afin d'atteindre le graal de leur vie : l'approbation masculine. Les hommes se confèrent le droit de discuter du physique des femmes, et lorsque c'est dans un contexte d'agression ou de viol, cette discussion permet de valider et l'agression et le physique.
L'idée populaire autour des viols et agressions sexuelles est qu'ils ne touchent que les plus jolies dont le physique constitue une provocation en soi pour l'agresseur. Dans ce contexte-là, la beauté devient un triple piège ; on doit être belle mais si l'on est belle on provoque le viol. Et comme le viol et les agressions sexuelles ne touchent, paraît-il, que les femmes les plus belles, il devient une sorte d'ultime validation des femmes, une sorte de diplôme qui les place sur le marché de la "bonne meuf" pour reprendre l'expression de Despentes.
Les agressions sexuelles, le harcèlement et le viol ne peuvent plus donc  être uniquement compris comme des actes de domination et d'appropriation du corps des femmes ; dans un monde patriarcal où l'on explique aux femmes qu'être belle est ce qui est le plus important pour elles et où l'agression sexuelle ne toucherait que les femmes belles, alors le harcèlement sexuel devient un élément ambivalent pour les femmes. Elles savent que la situation est anormale puisqu'elle n'existe pas dans l'autre sens, elles savent qu'il y a quelque chose de profondément anormal à ce qu'on valide en permanence leur physique mais tout concourt depuis leur naissance à se dire que tout cela est normal voire même valorisant. C'est sans doute pour cela qu'il a fallu autant de temps aux féministes à prendre en compte et à étudier le harcèlement dans l'espace public car pour beaucoup de femmes il était difficile de le voir autre chose que comme quelque chose de flatteur.
Les agressions sexuelles sont donc des actes très ambivalents dans une société patriarcale ; d'un côté ils constituent le pire de ce qu'une femme peut vivre (sauf si c'est commis par son mari, son ex mari ou tout homme ayant des droits très clairs sur son corps*), de l'autre elle est souvent accusée de les avoir provoqués, entre autres à cause de son physique, physique sur lequel on lui demande de travailler (et le temps qu'elle y passe constitue en effet un vrai travail) et enfin nombreux sont ceux à lui dire que cette agression prouve sa beauté, validation qu'on lui a indiquée comme importante depuis qu'elle est née.

* il s'agit ici de dire que les viols ou agressions sexuelles commis par des hommes étant ou ayant été partenaires des victimes, sont, socialement, moins perçus comme des crimes. Le viol ou l'agression sexuelle commis par un mari/ex mari/compagnon/ex compagnon est reconnu par la loi et punissable.

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