Avr 112011
 

C'est une photo qui a eu l'oscar de l'année en Suède et qui représente une fillette assassinée à Haïti (nota je mets le lien donc cliquez en connaissance de cause).

Nous serions donc censés être choqués par la deuxième photo où quelques 6 ou 7 photographes sont devant le cadavre.

Qu'est ce qui choque ?
- qu'une personne prenne en photo un cadavre d'enfant sans verser une larme ?
-  que plusieurs personnes s'agglutinent pour tous prendre la même photo, façon paparazzo ?
- qu'on prenne en photo, tout simplement ?

Pingoo avait écrit il y a quelques temps un billet sur l'esthétisation de la photo d'actu. Je n'étais pas complètement d'accord avec lui mais ce que je note, chaque jour, c'est que la photo tend à prendre trop de place par rapport à l'écrit. Dans les commentaires que je lis chaque jour, beaucoup de gens n'ont lu que le titre et vu la photo. Or nous sommes bien moins formés à l'analyse d'une photo que d'un texte ; nos réactions, face à une photo sont donc beaucoup plus sensibles et moins raisonnées qu'elles ne le seraient face à un texte. En revanche, je ne suis pas choquée du fait qu'on prenne en photo et qu'on tente de montrer une réalité aussi cruelle soit-elle. Je ne suis pas choquée  non plus par le fait que plusieurs photographes choisissent la même scène ; chacun sait que cette photo marquera plus que les autres. Oui, et aussi par son esthétisme. Et aussi parce que la fillette est vêtue de rose.  Et aussi parce que c'est une enfant et pas un homme.
Je suis en revanche gênée, je le répète, par la place que prend cette photo  dans un journal, un conflit, une discussion. En 1985, on filmait jusqu'à sa mort, l'agonie d'Omayra Sanchez. Se posait à l'époque la limite entre l'information et le voyeurisme. Lorsque Dom m'a rappelée cette histoire, j'avais en tête cette enfant mais pas les évènements ayant entraîné sa mort. Les photos avaient donc, au fond, pour moins, mal joué leur rôle ; elles m'avaient tellement saisie, que j'avais tout oublié de l'histoire.

J'ai en tête le livre de Didi-Huberman Images malgré tout qui étudie 4 photos prises à Auschwitz. Peut-on photographier l'horreur ? peut-on la montrer ? Je cite mon lien : "E. Pagnoux écrit que "regarder la photo et y croire [¤] c'est distordre la réalité d'Auschwitz qui fut un événement sans témoins". Je cite mon deuxième lien "Du Rhin jusqu’à l’Oder, je n’ai pas pris de photos. Les camps de concentration étaient envahis de photographes, et chaque nouvelle photo de l’horreur ne faisait que diminuer la force du message".

Est-ce que la photographie d'actualité peut, par sa définition même, contribuer à rendre plus tolérable des situations d'horreur ? Est-ce qu'elle banalise et à ce titre amoindrit une situation ? Quand on visualise des monceaux de corps dans les camps ou de crânes ou Rwanda, peut-on, via ce biais, comprendre quoi que ce soit à la situation ou est-on juste sidéré ?

 

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  18 réponses sur “De la photo d’actu”

  1. La deuxième photo donne envie de vomir. Le photo journalisme est important, mais le mélange de l'esthétique et l'émotion avec l'information est tout aussi dangereux, car il peut empêcher de réfléchir.
    Dans n'importe quelle guerre, il y a des morts. Il est facile de montrer un soldat agonisant de n'importe quel côté. Sans contexte ça ne vaut rien, mais de cette manière on peut persuader les masses de à peu près n'importe quoi.

  2. Cette petite un jour avant souriait, riait et aimait faire des calins à sa famille à son doudou, j'ai des gamins et cette image me fait pleurer.

    Elle ne sera traité dans les salles de rédaction comme une source d'argent supplémentaire.

    Ce monde ne me fait plus rêver!

  3. "traité(e)"

    Au passage, Je veux féliciter le peuple japonais qui a évité de publier les photos de leurs morts.

  4. Je suppose que le peuple haïtien, s'il avait géré les photos le concernant, aurait mis un peu moins de cadavres voire pas du tout, et en tous cas pas de cadavres d'enfants, un peu moins de secouristes occidentaux, et un peu plus de mères-courage et de pères-courages haïtiens fouillant les décombres à mains nues quelques secondes après la catastrophe, pour en sortir des personnes encore vivantes.

  5. Ce qui m'étonne, c'est qu'il n'y ait pas plus de monde à s'interroger sur la légitimité de ce choix entre une photo terrible et une photo choquante, et même qu'ils soient aussi nombreux à conspuer les journalistes qui s'agglutinent autour du cadavre. Ni que personne ne fasse de remarque sur l'esthétique de la première photo : gamme chromatique, composition en V pointant vers l'angle inférieur droit du cadavre, diagonale de l'horizon avec personnages se dirigeant vers l'angle supérieur gauche, nuages accentuant la perspective... Tout ça sent le cadrage super étudié, super travaillé, c'est pas de l'image prise à la sauvette, avec un polaroïde. Je ne dis pas que le photographe a été taper des spots pour une meilleurs ambiance et a redisposer le corps, juste qu'il a fait un travail de photographe ; il a fait super gaffe à la composition de son image, ce qui lui donne de la force, par ailleurs. Les gens ne s'en rendent-ils vraiment pas compte ?

    dans un autre registre, la seconde photo me rappelle, en plus gore, la photo de Socks, le chat de Clinton, et les photographes.

  6. je partage ton point de vue sur le sujet, je rajoute que malheureusement les gens ne s’intéresse pas ou peu à l'internationale, ils s'attendrissent le temps d'une catastrophe, d'un drame ou d'un malheur et reprennent leur vie, la photo est comme une épine dans le pied, elle est là, visible, présente, nous force à voir ce qu'on refuse de voir la mort, le malheur, la misère.je suis gênée aussi par la facilité que certains journaux ont à mettre des tas de clichés sans dire un mot ça n'a pas de sens...une photo seule suffit mais elle a besoin, pour prendre tout son sens, de mots. ce type de photos attise ma colère contre des tas de sujets pas simplement liés à la photo, et je me dis que tant que je serais en colère j'aurais envie d'agir et je serais donc plus vivante que la jeune fille morte, qui elle n'a eut aucune possibilité.le monde est bien triste...

  7. Je ne vois pas ce qu'il y a de choquant dans ces photos. Je ne vois pas en quoi une photo serait plus choquante qu'un article relatant le même fait. Une photo comme un article peut être composé pour donner une description objective ou pour susciter l'émotion.

    On voit un cadavre. Certes. Dans notre culture, on cache les cadavres et on est dans une forme de négation de la mort. Donc voir un cadavre, ce n'est pas courant. Pour moi, ce qui est vraiment choquant, c'est le fait que cette jeune fille ait été tuée. Pas qu'elle soit prise en photo.

    Il y a un an, j'ai été confrontée à un petit cas de conscience. J'étais chez moi au 3ème étage lorsqu'il y a eu un braquage dans ma rue au cours duquel une femme a été tuée. J'ai assisté à la scène et j'ai pris des photos avec mon portable. Puis j'ai eu la présence d'esprit de vendre ces photos à la presse. J'ai négocié une exclusivité avec un journal, puis qu'autres journaux, y compris Paris-Match, m'ont contactée pour m'acheter cette photo et j'ai gagné une certaine somme d'argent.

    Voilà la photo: http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/567228/braquage-ultra-violent-a-uccle.html

    Ca a été une journée très bizarre pour moi d'entendre le coup de feu, de voir le criminel prendre la fuite, d'assister à toute la scène de poursuite et des secours. Une sensation d'être un peu comme au cinéma, de voir une scène d'action, et de ne pas réaliser que c'est la réalité. Et en même temps prendre les photos, ensuite les négocier avec le journal (et là, aucun état d'âme de la part du photographe en chef, il faisait juste son boulot journaliste). Ca m'a pris toute l'après-midi. Ce n'est que le soir quand tout était fini que j'ai vraiment pris conscience de ce qui s'était passé. J'ai commencé à avoir des flashs en revoyant le criminel courir, le corps qu'on sort de la voiture, les policiers qui évacuent la rue. Et moi au milieu de ça qui gagnait de l'argent avec mes photos. Sensations très bizarres.

    Certaines personnes ont été choquées quand je leur ai raconté ce que j'avais vécu. J'y ai un peu réfléchi forcément. Je me suis dit que si ce n'était pas moi qui avait vendu les photos, ça aurait été quelqu'un d'autre. Et puis, qu'est-ce qui est plus choquant: celle qui vent les photos ou les lecteurs qui achètent le journal avec un certain voyeurisme morbide ? Et qu'est-ce qui est le plus choquant, que ces photos soient publiées ou qu'une femme ait été tuée lors d'un braquage ?

  8. "Et puis, qu’est-ce qui est plus choquant: celle qui vent les photos ou les lecteurs qui achètent le journal avec un certain voyeurisme morbide ?" (Mwana Muke).

    On pourrait aussi être plus banalement choqué par ceux qui prennent des photos. Mais on ne le sera pas. Comme s'il était devenu tout à fait normal (au sens : dans la norme) de prendre une photo, simplement parce qu'on a les moyens de le faire.

    Personne ne s'interrogera non plus sur - et encore moins ne sera choqué par - l'impact sociale réelle de la prolifération de ces moyens au service de la photo. J'ai lu quelque part (je n'ai plus le lien) que Picasa estimait à 25 millions le nombre d'images qui transitent chaque jour sur ses serveurs.

    Par jour...

    Alors à quoi bon discuter de quelques photos prisent par des gens dont c'est le métier, alors même que nous ne sommes plus capables d'anlyser et de comprendre ce que nous nous donnons nous-mêmes à voir, et pourquoi le faisons-nous ?

  9. patrick : intéressante reflexion que j'aurais du aborder dans l'article, merci :).

    c'est vrai que le numérique a complètement changé notre rapport à l'image et à la prise d'image.

  10. "Puis j’ai eu la présence d’esprit de vendre ces photos à la presse. J’ai négocié une exclusivité avec un journal, puis qu’autres journaux, y compris Paris-Match, m’ont contactée pour m’acheter cette photo et j’ai gagné une certaine somme d’argent."

    En fait, c'est surtout d'avoir pensé à vendre les photos qui me choque. Je peux comprendre qu'on sorte son appareil pour éventuellement témoigner par après (ça m'est déjà arrivé), mais de là à se dire: tiens, je vendrais bien les photos, ...

    Êtes-vous de près ou de loin lié à la profession de journaliste?

    PS:Le "si je ne l'avais pas fait, quelqu'un d'autre l'aurait fait", ça me parait une bonne façon de se dédouaner pour une conscience tiraillée ;). Si je vois une voiture ouverte dans la rue, je ne vais pas tout y voler, sous prétexte que quelqu'un d'autre le ferait si je ne le fait pas.

  11. "En fait, c’est surtout d’avoir pensé à vendre les photos qui me choque."
    Et vendre un journal qui relate ces faits, c'est choquant ? Et payer un journaliste qui écrit un article sur un meurtre, c'est choquant ?

    "Si je vois une voiture ouverte dans la rue, je ne vais pas tout y voler, sous prétexte que quelqu’un d’autre le ferait si je ne le fait pas."
    Voler, c'est un délit. En quoi vendre une photo, est-ce un délit ?

    "Êtes-vous de près ou de loin lié à la profession de journaliste? "
    Non. Pourquoi cette question ?

  12. Les photos sont surtout choquantes pour les familles et proches des victimes.

    Pour le reste, qu'il s'agisse de photos ou de descriptions graphiques, la frontière entre l'information et le voyeurisme est très floue.

  13. Très intéressante question, à la fin de ton article, et dont je n'ai pas la réponse...
    Je me demande si je ne perçois pas les photographes comme de simples outils, vraiment des objets, qui livrent des instantanés, en vrac, sans états d'âme, et c'est à nous de faire le tri, c'est notre regard à nous qui sera humain (ou pas) sur ces photos.
    Par exemple, la vidéo où on voit un otage être décapité a été regardée par beaucoup de gens d'une façon très malsaine, comme si c'était un extrait d'une série policière mais avec l'excitation du "vrai". Je n'ai pas voulu voir cette vidéo, par respect pour cette personne, parce que sa mort n'a pas à être un spectacle.
    Mais je trouve nécessaires les photos de massacres historiques (Le Rwanda, Auschwitz,...), qui sont de vrais témoignages bruts face aux négationismes, ou lors des procès des criminels de guerre, ou tout simplement pour être conscient, à son propre niveau, de ces évènements.

    Pourtant, en même temps, je rejoins Thierry sur son commentaire : j'ai admiré les Japonais qui refusent de filmer les cadavres...

  14. Toujours dans le sujet des vidéos, il y a celle révélée par wikileaks qui a provoqué un immense scandale, où l'on voit l'armée américaine tuer des photographes de Reuters parce qu'ils se baladent dans la rue avec un air un peu trop suspects. Là non plus (comme la vidéo de l'otage) il ne s'agit pas d'images d'art ni de journalisme, mais de vidéos récupérés. Je l'ai regardé, sans la moindre excitation (justement parce que c'est réel, je peux vous assurer que je n'ai pas eu le moindre frisson d'adrénaline. Juste de la répugnance en crescendo)
    Ça montre aussi qu'il y a des photographes qui ne font pas que se jeter sur les cadavres, ils risquent parfois leur vie. Au fond je suppose que c'est comme tous les types de journalisme - la qualité peut être au rendez vous ou non - avec un charge émotionnelle plus forte.

  15. "Les photos sont surtout choquantes pour les familles et proches des victimes."

    >primere non nocere, bordel. on pourrait peut être au moins flouter les visages. ce serait mon fils, j'aimerais pas du tout que la photo de son corps sans vie soit à jamais sur internet et dans les mémoires collectives ou individuelles.
    bref. encore une fois il y a deux sortes de gens. une star meurt, on va l'annoncer de sa plus belle photo sous son plus beau profil. un lambda de l'hémisphère sud n'aura pas droit à ça. c'est dégueulasse. quand on me dit qu'il y a des morts je le crois j'ai pas besoin de l'image, et si on veut m'émouvoir j'aimerais autant qu'on me montre une photo de cette petite fille trois jours avant quand elle jouait encore au ballon.

    à part ça je dois être très anormale mais moi quand je vois quelque chose de grave j'appelle les secours, je prends pas une photo.
    je prends une photo quand je suis seule et que je vois quelque chose de joli qui ne va pas durer et que je voudrais partager, en revanche.
    quant à la présence d'esprit de vendre une image quelle qu'elle soit, je ne l'ai pas.
    heureux les fêlés, ils laissent passer la lumière, comme on dit. qu'on me préserve donc des réflexes et de la présence d'esprit. tout ça me fait froid dans le dos.

  16. La première photo me choque énormément. Elle enjolive la mort.
    Haïti a été sous le feu des projecteurs et a soulevé la sympathie des pays occidentaux. les rédactions ne s'y sont pas trompées et ont envoyé leurs photographes pour avoir des images chocs pour appâter le lecteur affamé d'images fortes. Voilà ce que nous montre la deuxième photographie : le voyeurisme du lecteur

  17. Bonjour,

    Je te renvoie à cet article d'André Gunthert, qui complète ton propos : http://culturevisuelle.org/icones/1573

    En gros, nous voulons être informé (mais dans quelles limites, et jusqu'où peut ou doit aller l'esthétisation ?) mais nous ne voulons pas connaître les coulisses un peu sordides de la machine...

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