Nov 082021
 

Il faudrait parler, pour les plus jeunes et aussi pour les plus amnésiques, de l'atmosphère de ces années 2003-2004 quand tant de gens de gauche défendaient Bertrand Cantat.

La mort de Marie Trintignant fut un séisme dans la torpeur d'août 2003. Aussitôt instrumentalisée par la droite et l'extrême-droite ravies de cracher sur un chanteur de toutes les luttes de gauche. Dans un second temps ils ont bien sûr défendu Cantat car la solidarité masculine prévaut toujours face aux femmes. Marie Trintignant aussitôt salie par les groupies de ce type qui ne cessaient de répéter que l'amour ca tue et que c'est beau. On chantait "Pas assez de toi" de Mano Negra pour justifier que les hommes tuent les femmes et que c'est beau un cadavre de femme et que c'est beau les poings d'un homme pleins du sang d'une femme. On opposait les violences ; le visage fracassé de l'une, son cerveau balloté dans son crâne comme celui d'un bébé valaient les violences verbales qu'elle avait assurément proférées. On renvoyait l'atavique violence verbale des femmes à l'hormonale violence physique masculine, la seconde n'étant jamais qu'une réponse à la première. On les pousse à bout. Ils n'ont pas d'autre choix. Il a tué mais lui même est mort à l'intérieur, lisait-on, de la part de grand dadais trentenaires.
On ratiocinait sur les violences ; c'était la faute à pas de chance. Bertrand portait des bagues le pauvre, ca fait mal les bagues contre la chair. Les rockers ca a des bagues voilà tout. Et puis c'était des claques, on vous dit, pas des coups de poing ce qui semblait faire une sacrée différence. A débarqué un radiateur qui avait le tort de se trouver là et Marie Trintignant la maladresse de se heurter la tête, le nez, le cerveau, l'entièreté du visage dessus. Pensez à faire des radiateurs mous la prochaine fois.


A quel point la mort des femmes compte pour rien, à quel point on va s'arranger avec la vérité pour défendre, piétinant un peu les cadavres sur lesquels on dresse de statues d'hommes, toujours repentants.
Il fallait lire ceux qui disaient que les coups de Cantat étaient ceux du prolétariat en rébellion contre la bourgeoisie germanopratine. Il fallait lire ceux qui ont fait des Trintignant des juifs, ce qui voulait apparemment dire beaucoup ; ils avaient pris un avocat juif, son ex compagnon était juif, pensez donc ! Trintignant était vue comme sympathisante d'Israël - sont ressorties les photos de son voyage en Israël - que Cantat boycottait. Cantat devenait le chantre de la cause palestinienne jusque dans ses poings contre elle. Même cette cause-là a été utilisée. On dut supporter les élucubrations d'un écrivaillon qui vit dans la famille Trintignant une famille incestueuse ; Cantat avait mis fin à cette atrocité. On entendit le juge Halphen nous dire "Passons lors des faits, je veux parler de cette quasi folie - de part et d’autre - qui a armé ses poings." Parce qu'au fond les hommes sont toujours contraints de frapper par des femmes qui les emmerdent. Au fond, n'est ce pas Trintignant qui a gâché la vie de Cantat en mourant sous ses coups ?
Bien sûr il y avait le banal ; c'était une pute, c'était une alcoolique, c'était une hystérique. On y est presque habituée au fond. C'est le quotidien des femmes qui sont violentées. On fait du crime d'honneur une spécificité de barbares lointains alors que nos bourreaux ne cessent de justifier leurs crimes par leur honneur de mâle bafoué.
Lorsqu'il y a eu assez de fracasser le cadavre de Marie, ils se sont attaqués à sa mère, Nadine ; trop revancharde, trop en colère. Tous les compagnons de Marie Trintignant ont exprimé le même mépris et la même haine face à Cantat mais c'est elle, à qui on a reproché de ne pas pardonner. Je ne sais pas ce que cela peut faire de perdre un enfant dans de telles conditions. Je n'imagine pas veiller un enfant au visage massacré par les coups. Je n'imagine pas assister au procès de l'homme qui l'a tué et qui dit qu'il l'aime. Et voir des gens le croire. Mais il aurait encore fallu le faire proprement car c'est vilain une femme en colère. Souris donc un peu. C'est joli une femme qui sourit, la colère ca fait des rides.

Cantat a pleuré. Beaucoup. Les fans ont pleuré avec Cantat. Cantat était suicidaire mais pas au point d'interdire à sa défense, Maitre Metzner, de demander une enquête sur les blessures subies par Marie Trintignant en 1991 après un accident de voiture. « Il s'agit de vérifier tout ce qui pourrait expliquer la fragilité physique de Marie, explique Me Metzner. Nous savons aussi qu'elle avait été opérée du nez, peut-être même suite à cet accident. »
J'avais gardé dans un coin de ma mémoire cette ultime saloperie - certes récusée par la justice française. Comment ces femmes font-elles pour avoir des os aussi peu solides, un nez qui se brise aussi facilement ? Ce ne sont pas les coups qui étaient violents, c'était le nez qui était fragile. Au fond Marie Trintignant s'était un peu tuée toute seule, en ayant un accident sous l'emprise de l'alcool, 12 ans auparavant ; circulez il n'y a plus rien à voir.
Cantat a pleuré, beaucoup, mais pas au point d'interdire à sa défense de parler de la vie sentimentale de Trintignant, de son alcoolémie ou de sa consommation de cannabis. Il a pleuré beaucoup. Les hommes qui nous font du mal pleurent toujours beaucoup. Regarde ce que tu me fais faire. Les coups que je te donne me font encore plus mal. Ils souffrent d'avoir tué des femmes qui meurent juste pour les emmerder.

On me demande souvent si j'interdirais à un boulanger condamné pour le meurtre de sa femme de vendre du pain. C'est assez fou le pouvoir qu'on me prête.
J'estimerais, parce que la morale n'est pas encore un grand mot, qu'il serait moral, de ne pas vendre du pain en face du logement des parents de sa victime. Cantat en choisissant de conserver des activités publiques, rappelle sa triste existence aux enfants de Marie Trintignant, à sa famille et à tous ses proches. J'estimerais qu'en effet certains actes ne sont pas pardonnables, ni oubliables et qu'avoir purgé sa peine ne vous empêche pas d'avoir certains devoirs et certaines responsabilités.

Il y a quelques années, a eu lieu un crime abominable. Les frères Jourdain ont enlevé, violé et assassiné 4 jeunes filles : Peggy et Amélie Merlin, Audrey et Isabelle Rufin. Toutes les émissions criminelles parlaient sans cesse de "l'exceptionnelle dignité" des mères de ces 4 jeunes filles. Il n'est pas rare lors des procès pour féminicide, qu'on s'intéresse très peu au père et qu'on juge en continu le comportement des mères. Loin de moi l'idée de penser que Mesdames Merlin et Rufin auraient du hurler leur haine. Mais je trouve étrange qu'on loue leur dignité, comme s'il y en avait eu à avoir ou pas, lorsqu'on juge les bourreaux de vos enfants. Comme si c'était le sujet. Le victim blaming s'étend aux mères des victimes qui sont toujours trop hystériques, trop avides de media. Je me souviens d'un avocat célèbre de twitter qui s'était moquée de Madame Fouillot, qui avait réussi pourtant à faire avouer Jonathann Daval, en lui montrant une photo de sa fille avec un chat. Qu'est ce qu'elles sont émotives ces femmes. Je me souviens de ces gens qui moquaient la rage de Nadine Trintignant comme si même là la colère des femmes était illégitime alors qu'on leur a tué leur enfant. On aime les mères courage, les femmes qui se taisent et encaissent et qui pardonnent parce qu'il faut pardonner aux hommes.
La colère des mères se retourne alors contre les filles mortes. "Quand je vois la mère, je comprends qu'on ait tué la fille" lit-on. Marie Trintignant est morte en 2003 et Alexia Daval en 2017 ; si peu de choses ont changé. Le caractère de l'une et l'autre ont été des éléments à charge, leur mère respective a été trainée dans la boue.

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  •  8 novembre 2021
  •  Publié par à 14 h 12 min
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  •   Culture du viol

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