Mai 022016
 

Voici le résumé du livre de Serge Tcherkézoff Tahiti - 1768 Jeunes filles en pleurs, la face cachée des premiers contacts et la naissance du mythe occidental

 

Avant de commencer le résumé de ce livre, quelques remarques préliminaires.

Le sujet du livre est la déconstruction des mythes (racistes et sexistes) autour des femmes tahitiennes. Il montre comment, en quelques récits hâtifs et ethnocentrés de colonisateurs, on a construit tout un mythe de liberté sexuelle voire de lubricité des femmes tahitiennes.
On a souvent tendance à voir l'autre au prisme de ses propres valeurs, de sa propre culture, en interprétant un geste comme ayant partout le même sens.
Ce livre devrait être lu par tout-e ethnologue et tou-e sociologue. Sa lecture incitera chacun-e à se méfier de ce qu'il croit voir et des conclusions qu'il en tire trop hâtivement.

 

A partir du moment où Constantinople tombe aux mains des turcs, l'Occident cherche une autre route pour arriver aux Indes Orientales afin de continuer entre autres le commerce d'épices.
Les premiers contacts en Polynésie furent pour coloniser et trouver des mines à exploiter (au XVIèeme et au XVIIème) : le conquistador.
Les suivants dés la seconde moitié du XVIIIème étaient davantage "artistiques" et "scientifiques". Il y avait un intérêt pour la géographie et une volonté d'étudier les populations locales. Les Occidentaux étaient ) la recherche d'hommes à l'"état de nature". On n'est plus face à des conquistadors mais des "découvreurs", des artistes et des naturalistes (l'auteur met le mot "découvreur" entre guillemets pour montrer qu'utiliser ce mot parle uniquement des actions de celui qui découvre un lieu qu'il ne connaît pas ; un local ne découvre rien).
L'Antiquité est très à la mode à cette époque avec de fréquentes comparaisons de ce que l'on voit avec la mythologie. L'Antiquité est vue comme une période où l'on glorifie l'amour et le corps humain ; on en vient donc à glorifier le corps des femmes.
Byron arrive en Polynésie en 1766, Wallis en 1767, Bougainville en 1768, Cook en 1769.
Byron et Wallis ont tiré sur les habitants ce qui a forcément modifié le comportement de ces derniers face aux nouveaux arrivants. Bougainville n'est pas au courant de cela (impossible de savoir si cela aurait changé ses observations) et parle donc de l'île de Vénus.
Le mot "Polynésie" est créé en 1716 ; il signifie "nombreuses îles".
Au XVIIIème, il y a une unité du genre humain avec les races qui montrent la variété de l'humanité. L'homme originel est forcément blanc ; s'il y a des hommes noirs c'est du au climat, à l'alimentation, à l'habitat. C'est une modification vue comme naturelle donc les peuples sont appelés "naturels". Le blanc l'est aussi, il représente la nature du dessein divin.
Au XIXème, avec la zoologie, on croit moins à l'unité du genre humain. La nature se morcèle et certains sont vus comme plus proches des animaux que des humains. Les noirs ne sont plus vus comme des blancs dont la peau a foncé mais comme des êtres fondamentalement différents. On commence donc à hiérarchiser les êtres. (ce qui ne signifie pas qu'il n'y avait pas de racisme avant). Ce sont les missionnaires qui continuent à défendre l'idée d'une unité de la race humaine (sinon il leur serait impossible de continuer à évangéliser s'ils considéraient les noirs comme pas tout à fait humains).

Lorsque les espagnols arrivent aux îles Marquise en 1595, ils sont obsédés par la couleur de peau blanches de habitants et la beauté des femmes. En 1688, Dampier qui décrit les australiens les voit comme un peuple "laid et misérable".

En 1831-1832, on invente le mot "Mélanésie" afin de distinguer les noirs de ceux à la peau plus claire.

Bougainville passera 2.5 jours à terre en Polynésie qu'il appellera "jardins d'Eden" ou "Nouvelle Cythère". Il parle d'hospitalité sexuelle, de sexe en public, de danse lascive, de polygamie, de passion pour l'amour (le sexe). Il est persuadé que les adolescentes polynésiennes ont une totale liberté sexuelle. Lorsqu'il arrive, des tahitiens viennent à sa rencontre avec une jeune adolescente qui se met nue et s'offre aux hommes présents. La scène se reproduira à terre. Bougainville n'a aucune conscience qu'elles sont forcées à le faire ; pour lui elles le font par amour du sexe.
Pour l'auteur, il se pourrait (aucune certitude là dessus) que les tahitiens aient envoyé des jeunes filles vierges aux blancs afin qu'elles tombent enceintes et captent des pouvoirs qu'auraient pu avoir les blancs. Il n'est nul question ne lubricité là dedans. On peut aussi supposer que les tueries orchestrées par les occidentaux venus précédemment, ont pu pousser les tahitiens à offrir des jeunes filles en guise d'apaisement.
Les français n'ont aucune conscience que leur présence ait pu beaucoup surprendre les tahitiens ; ils pensent que si on leur présente des adolescentes, cela doit être comme cela chaque jour.
Bougainville note bien que les jeunes filles pleurent après avoir été déflorées mais il n'en fait pas grand cas. Pour lui, si elle se dénude et montre des marques d'embarras c'est simplement parce qu'elle minaude. Tout le vocabulaire employé par les français montre que la femme tahitienne est vue comme une victime d'une guerre galante; c'est une conquête.

 

Cook arrive en 1769 à Tahiti ; il ne connait pas le récit de Bougainville. Il parle beaucoup des danses lubriques où les femmes sont nues. Il note combien les femmes bougent leurs hanches ce qui pour lui est forcément signe de lubricité.
L'auteur montre que les danses tahitiennes mettent l'accent sur les mains, les doigts et les hanches. Les pieds  sont cachés et ne bougent que très peu. Il n'y a pas de signification sexuelle pour les tahitiens derrière ce mouvement de hanches.
Les danses  auxquelles ont assisté les anglais pourraient pour l'auteur être des rites de fécondité ou d'initiation mais il n'a pas de certitude là dessus.
Les européens ont souvent tendance à décrire les tahitiens comme nus alors qu'ils ont un pagne cachant leur sexe. Il y a donc de multiples extrapolations ; ils les voient nus, alors qu'ils ont un pagne. La nudité est pour un occidental vu comme un symbole de lascivité ce qu'elle n'est pas à Tahiti. Bouger les hanches en dansant  signifie pour eux un appel au sexe.
A Tahiti, on se dénudait également du haut face à quelqu'un de supérieur socialement parlant ; rien de sexuel là dedans. C'est une sorte de salut à celui ou celle qui est supérieur-e hiérarchiquement.

Un des mutins du Bounty Morrison  qui vécut deux ans à Tahiti et dont le livre fut publié en 1935 expliqua bien qu'il n'y avait pas de sexe en public, que les danses ne débouchaient pas sur des orgies et qu'on n'exposait pas son sexe hors des moments où l'on dansait.

On constate donc en réétudiant les journaux et témoignages sur Tahiti :
- qu'il n'y eut pas d'amour en public
- qu'il n'y eut pas d'amour libre
- que la danse n'avait rien de lascive
Restent deux faits :
- la présentation de jeunes filles nues
- les danses où l'on est nu

Il conclut au caractère très rituel de la présentation de jeunes filles. Il pense que lorsque les tahitiens ont vu arriver les occidentaux qui avaient le pouvoir de donner la mort à distance (canons, fusils) et des outils leur permettant de travailler plus vite (outils en fer), ils les ont pris pour des sortes de dieux dont il fallait capter le pouvoir par la fécondation d'une vierge.
Pour la danse, l'on se dénude par salut et aussi pour être fécondée, là encore il n'est pas question de lascivité. Ce sont des jeunes femmes vierges mais en âge d'être fécondées qui se dénudent.

Ces récits, qui ont continué au XIXème et au XXème siècle, ont profondément marqué les esprits occidentaux quant à l'idée que nous nous faisons de Tahiti. L'auteur cite encore des exemples récents où cette idée de "l'île de l'amour" est fort présente. Il montre ainsi au travers de ces exemples comment calquer nos propres représentations mentales sur d'autres, conduisent à des interprétations totales erronées de leurs coutumes.

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