Oct 012015
 

Anecdotiques, ces dizaines d'hommes outrés au fil des années lorsque j'avais le malheur de lancer une initiative réservée aux femmes.
Anecdotique, le fait que des hommes ne prennent pas la peine de lire les interview que je mène depuis quelques jours mais préfèrent commenter le fait que j'interviewe uniquement des femmes.

Je pourrais exposer les dizaines de textes ou de projets intéressant directement les hommes que j'ai pu crer mais je me rends compte que cela ne serait jamais assez, qu'il en faudrait toujours plus, qu'à partir du moment où il y a UN projet sans homme c'est déjà un de trop. Tous ceux qui reprochent la non mixité nous disent bien qu'ils sont très féministes d'ailleurs mais curieusement ils ne semblent pas s'intéresser à ce que les femmes ont à dire, ils préfèrent parler de ce que eux voudraient dire. Une étude montrait qu'on reproche toujours à une femme de parler trop.. parce qu'il a en fait été mesuré qu'elle parle trop face aux femmes qui ne parlent pas.

Nous sommes tellement habitués à ce qu'il y ait des hommes (blancs) partout, à tous les niveaux, tous les milieux, tous les sujets que leur absence est anormale. Leur absence crée un malaise ; la discussion devient suspecte sans homme. Ils sont l'alpha et l'omega sans lesquels une discussion n'existe pas vraiment, n'est pas totalement intéressante, profonde, objective et raisonnable.

Rappelez-vous les très nombreuses discussions sur la féminisation de certaines professions ; cela causerait une mauvaise ambiance, un travail de moindre qualité, des enfants perturbés futurs délinquants si l'on parle du corps enseignant. Mais la masculinisation massive de TOUS les conseils d'administration, de TOUTES les instances dirigeantes ? C'est la normalité. L'homme blanc est vu comme le référent, le sujet X et les autres sont surnuméraires ; c'est eux dont on questionnera les compétences, eux dont on questionnera la présence et la légitimité. On pensera, par défaut, que tous les hommes blancs présents sont naturellement compétents, ce qui nous met à peu près au niveau de Zemmour et Morano soit-dit en passant si on pense vraiment qu'une couleur de peau et une paire de testicules créent la compétence. On ne questionne plus le fait que lorsqu'il y a un expert à interroger cela soit forcément un homme. On ne s'étonne pas d'ouvrir un journal économique avec 100% d'experts masculins,  de voir que la politique reste un monde d'hommes,  ou de voir un plateau télé avec 100%d'hommes blancs. Ils nous représentent, nous a-t-on appris, selon le beau modèle universaliste français. Et puis ca ne serait pas un peu du sexisme et du racisme que de pointer leur genre et leur couleur de peau ?

J'ai cherché au hasard la composition de conseils d'administration d'écoles, d'entreprises ou d'autres organismes. Je vous laisse l'apprécier : le Collège de France, le sénat,  EDF,  TF1, Arte, AP-HP, la FFF. Des hommes, blancs, en majorité, partout. Des hommes blancs experts en tout ; je ne sais si c'est une spécialité française d'ailleurs que de savoir discuter de tous les sujets et d'avoir un avis sur tout.
Oh, les femmes blanches sont invitées, les personnes racisées aussi ; mais pour (parfois) parler de ce qui les concerne. On invitera ainsi des femmes le 08 mars,  ou un-e noir-e le 10 mai. C'est souvent cela en fait, toutes celles et ceux qui ne sont pas des hommes blancs, sont des témoins. Nous n'analysons pas, nous ne conceptualisons pas, nous existons simplement pour produire des témoignages et ca sera les hommes blancs qui transformeront l'essai et qui produiront de l'analyse.

Dans un contexte si uniformément masculin, ma petite initiative détonne ; comment ai-je osé n'interviewer que des femmes ? Qu'ont-elles à dire qu'un homme ne pourrait dire ? Internet est pourtant immense ; chacun-e est libre d'interviewer des hommes sur le féminisme s'il le souhaite. Le fait que je ne le fasse pas n'est pas signe d'une interdiction soudaine d'interviewer les hommes.
On me somme de m'expliquer : pourquoi uniquement des femmes. Cet acte banal devient d'un coup un ferment révolutionnaire, une initiative dangereuse. Je ne fais pourtant que renverser la vapeur et donner la parole à des femmes sur un sujet les concernant en premier lieu. C'est peut-être cela qui gêne au fond, qu'un sujet puisse concerner en premier lieu les femmes. Les femmes, comme Brigitte Grésy le montrait, sont avant tout interrogées en tant que victimes ou témoins. Nous sommes habituées à ce que leur parole n'existe pas seule, pas en tant que telle, mais qu'elle soit accompagnée, analysée, expliquée par la parole d'un homme, expert sur le sujet. Ainsi si l'on interroge une femme par exemple sur un sujet la concernant, on n'attendra pas qu'elle fournisse une analyse. Elle est bien trop subjective, bien trop dans le pathos et l'affect. On lui posera donc des questions déplacées et sans aucun intérêt politique puis on donnera la parole aux experts.  Et il y a l'idée qu'on arrive à faire un truc sans eux, qu'on parle sans eux, qu'on n'ait pas besoin de leur avis, de leur expertise, de leur témoignage. Cela ne nous intéresse absolument pas. Dans une vie, où l'on est habitué à faire passer les désirs des hommes avant les nôtres, cela est tout bonnement insupportable.
Les femmes ne sont expertes en rien et témoins en tout ; elles ne disent rien qu'un homme ne pourrait dire avec le recul et la capacité d'analyse qui lui est propre. Personne sinon les féministes, ne questionne l'absence des femmes à peu près partout, tant elle parait normale. C'est l'absence masculine qui ne l'est pas. Notre absence est tellement normale, habituelle, qu'un micro-évènement comme des interviews sur un petit blog, semble prendre toute la place et contrebalancer les milliers de lieux tous masculins et autrement plus importants.

Alors au final dans ce contexte-là, mon initiative d'interviewer uniquement des femmes est effectivement un acte révolutionnaire ; puisqu'il suscite autant de réprobation, de critiques et d'attaques. Si le simple fait de ne pas donner de place à un moment donné aux hommes est insupportable,  c'est qu'il n'est pas encore rentré dans les têtes qu'ils en ont déjà partout. Et tant qu'ils squatteront, sans aucune légitimité pour cela, tous les lieux de pouvoir, alors nous utiliserons ce qu'il nous reste, Internet, pour nous exprimer.

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