Déc 012016
 

Ce témoignage se veut une réponse au témoignage de Marie-Christine Bernard sur le blog Mauvaise herbe où elle faisait l'inventaire des agressions sexuelles subies.

Les femmes témoignent de plus en plus des violences sexistes qu'elles subissent. Cela entraîne à mon sens deux conséquences :
- une profonde résistance, en particulier de la part des hommes (mais pas que ; quelle femme a sérieusement envie de voir à quelle point elle peut être potentiellement victime de violences sexuelles ?).
- la révélation que nous considérons quasi tous et toutes ces agressions comme quasi dans la norme, comme immuables. Nous nous y habituons et n'avons au fond pas vraiment envie de lutter contre parce que ca ne dérange au fond pas grand-monde ; les femmes s'y habituent, les hommes agressent et/ou ferment les yeux.

Nous faisons donc face à un double paradoxe. D'un côté nous refusons de voir que les violences sexuelles sont banales dans le sens courantes, habituelles, partie quasi intégrante de la vie des femmes. Et de l'autre nous les banalisons totalement, en disant, sinon clairement, du moins en sous-texte, qu'on ne peut pas fait grand chose contre ou que de toutes façons les femmes ont tendance à tout exagérer. Il suffit à ce sujet d'analyser les réactions lorsqu'une femme dit publiquement avoir été violée ou agressée sexuellement ; ce qu'elle a vécu sera quasi systématiquement minimisé voire moqué.

J'ai 42 ans. En me lisant je voudrais que vous réalisiez que je n'ai pas spécialement manqué de chance. Si beaucoup de femmes faisaient le bilan que je fais là, sans doute auraient-elles le même. Nous avons collectivement besoin d'accepter - pour mieux lutter contre -  qu'il y a énormément de violences sexuelles en France, qui émanent de tous les milieux, tous les âges. Je n'écris pas tout cela pour me faire plaindre (donc gardez-vous de le faire, je vous en prie) mais parce qu'il est important, si on le peut évidemment, de témoigner. Je ne vous conseille pas spécialement de le faire ; les risques à témoigner existent. Mais je voudrais que, par nos témoignages, on commence à réaliser combien nous vivons dans une société sexuellement très violente pour les femmes.

Je pourrais être votre femme, votre sœur, votre tante, votre mère. Je ne suis pas un cas isolé.

J'avais 9 ans lorsqu'un le frère aîné d'un copain de mon âge a décidé que nous allions jouer au docteur et que je serai systématiquement la malade et j'aurais systématiquement des problèmes qui nécessiterait qu'on enlève ma culotte. Il est compliqué de parler ici de violences sexuelles surtout lorsque cela concerne deux jeunes enfants (il devait avoir 12 ans) ; ce qui est intéressant est de se demander comment et pourquoi un préado de 12 ans considère comme normal et licite de faire enlever sa culotte à une enfant de 9 ans.

J'avais 11 ans lorsque ce même garçon m'a montré un film porno. Nous n'avions que peu d'accès à ce genre d'images au début des années 80. Lorsque sa mère l'a découvert, elle a appelé la mienne pour dire que j'étais "une dévergondée". Rien sur son fils bien évidemment.

J'étais en 5eme. Nous étions à l'âge où nous étions capables de voir que notre prof âgé de 50 ans aimait regarder les jambes des filles ; mais nous n'étions pas capables de comprendre que c'était un problème. Ca nous faisait rire simplement. Ce jour là j'étais restée pendant la récréation pour travailler. Il s'est mis derrière moi et a rentré sa main sous mon tee-shirt. Cela n'est pas allé plus loin. Je sais que j'en ai parlé à mes parents, j'ai sciemment oublié ce qu'ils m'ont dit. Dix ans plus tard, lorsque j'ai appris que ce prof avait été jugé pour viols sur mineures de moins de 15 ans, j'en ai reparlé à mes parents qui m'ont dit avoir pensé que je cherchais à me venger car j'étais mauvaise en maths.

J'ai 15 ans. Chaque fois que je vais au lycée et que j'en reviens, un homme me siffle du plus haut de sa fenêtre et j'ai la joie de le voir se masturber. J'en parle. On me dit de changer de chemin. Parfois je refuse car cela me rallonge et j'ai la brulure de ses sifflements qui me frappe entre les omoplates. Il ne me fait pas grand mal non, me direz-vous. Mais à partir de quel moment considère-t-on qu'il est normal, acceptable et pas grave qu'une femme soit tous les jours dérangé sur son trajet par un type qui lui exhibe son sexe ?

J'ai 16 ans. Nous sommes avec mes parents à Paris pour les fêtes de fin d'année. J'ai réussi à les lâcher pour aller seule au cinema. C'est Pump up the volume avec l'acteur dont je suis folle à l'époque ; Christian Slater. Nous sommes deux dans la salle. Au bout de dix minutes l'homme présent vient se coller contre moi, il me touche, les seins, le sexe. Je n'ai pas été éduquée à réagir. Jez change juste de place. On fait un ballet incessant pendant tout le film.

J'ai 18 ans. Je dis non à mon petit ami. Cela ne suffit pas.

J'ai 18 ans. Je rentre en pleine nuit de chez des copains. Un homme m'attrape. Il a un couteau. Il me viole. Malgré toute l'éducation que j'ai reçue, j'ai la chance immense d'immédiatement savoir que je n'y suis POUR RIEN. Alors je vais porter plainte alors que j'ai bu, alors que je suis habillée super court et super moulant et que la liste de mes amants remplirait un annuaire. J'ai la foi inébranlable que je n'y suis pour rien. Le policier qui me reçoit me dit que "s'il était mon père il me flanquerait une paie de claques pour oser sortir habillée ainsi". Je suis repartie. La plupart des gens autour de moi ne m'ont pas crue ou ont dit que je l'avais cherché. J'ai eu une chance immense de ne jamais douter de ma totale innocence face à ce viol ; je parle de chance car nous sommes beaucoup à être éduquées à nous en sentir coupables.

J'ai 22 ans. J'habite à 300 mètres du métro et je vais chercher une amie au dernier métro. Deux hommes se plaquent contre nous tout le trajet du retour. Ils nous murmurent des atrocités et quelque chose (je ne saurais jamais si c'était leur main ou un couteau) est plaquée contre nos reins.

J'ai 26 ans. Je travaille comme webmistress dans une banque très prestigieuse. Mes collègues multiplient les blagues de cul à longueur de journée ; celles qui rient sont des salopes, celles qui ne rient pas des coincées. On ne gagne jamais. Le big boss poursuit les femmes jusque dans les toilettes. Il fait courir le bruit qu'il "n'y a que le train qui ne m'est pas passé dessus". Je démissionne. Une vie pro foutue en l'air. Il est à présent dirigeant d'une de leurs succursales en Asie.

Je vous épargne les mains aux fesses dans la rue, les mecs à repousser et à qui il faut dire 500 fois non. Les trajets que tu recalcules pour éviter tel taré qui sévit dans le coin. J'en oublie très certainement.  Je minimise pas mal de choses.

Une vie tout ce qu'il y a de plus banale.

 

Share

Désolé, les commentaire sont désactivés pour l'instant.