Août 082013
 

Suite à mon article d'hier, deux femmes sont venues me parler de certains commentaires. L'une m'a demandé d'enlever certains commentaires qui la rendaient malade. L'autre m'a dit ne pas être en sécurité ici et se sentir agressée, mal à l'aise dans un espace "non safe".

Une autre commentatrice me dit : "Mais punaise, une fois qu'on a conscience de cette socialisation des hommes a étouffer la parole des femmes, et des femmes a les écouter jusqu’à douter de leur propre vécu  on a du mal (enfin moi en tout cas) a ne pas vouloir un peu plus d'espaces safe. Les gars, vous avez le droit de parler et de débattre  et si c'est dans le but de vous éduquer grand bien vous fasse. Mais vous avez aussi le droit de vous taire et d’écouter."

Qu'est ce déjà qu'une espace féministe safe ?
C'est un espace où l'on peut parler sans machisme. Les crétins ne manqueront pas de dire "oui vous refusez toute contestation" ; pour qui a déjà fréquenté un espace uniquement fréquenté par des féministes, il/elle comprendra le ridicule de cette assertion. Non un espace safe c'est un espace sans entendre qu'une fille violée l'a cherchée, qu'on est misandre, qu'on est des salopes, que je mérite d'être violée, bref un paquet de réactions qu'on lit ici. C'est ne pas devoir à chaque post sur le viol, devoir consoler des mecs qui sont persuadés qu'on les traite de violeurs alors que des témoignages de femmes violées sont postés dans l'indifférence quasi totale de ces grands humanistes.  Je l'ai déjà dit 500 fois. Rendez-vous compte qu'à CHAQUE post sur le viol, on doit perdre plus de temps à dire à des hommes que non ils ne sont pas des violeurs sans plus parler une seule seconde des personnes violées.
Un espace safe est un espace où lorsqu'une femme témoigne de sa souffrance, personne ne la relativise, personne ne lui dit qu'elle est malade, qu'elle n'avait qu'à ou qu'elle aurait du.
Je m'adresse ici aux personnes de tout genre qui sont venues chier sur des témoignages. Je me contrefous que vous m'attaquiez franchement. En revanche, si quelqu'un prend la peine de poser ses tripes sur la table, poser 5 minutes sa souffrance, ne vous sentez surtout pas obligé de parler. Attendez. Réfléchissez.

Vous le savez pour certains, je fais un métier qui me confronte régulièrement à la saloperie humaine, je suis donc relativement blindée face à ce genre de propos. J'ai donc pour charte de blog de rejeter les injures entre commentateurs/commentatrices et les propos hors la loi. Et c'est tout. Depuis le temps que je parle de féminisme, je suis toujours partie d'un constat. Moi, je parlerais surtout aux non-féministes. Cela m'a souvent valu la réputation d'être trop conciliante avec les machos, de perdre du temps avec eux mais je l'assume et ce, pour une raison simple. Les féministes sont une minorité. Nous n'avons pas le pouvoir ni social, ni économique, ni politique, ni rien. Le mec ou la fille qui viennent dire ici qu'une femme violée l'a cherché DOIVENT être convaincus du contraire ainsi et surtout que tous ceux et toutes celles qui lisent et sont d'accord avec lui. Celles et ceux qui viennent nous expliquer cela seront les mêmes, ou les copains de ceux qui nous harcèleront, détourneront les yeux quand on nous met une main au cul, nous paieront moins, nous traiterons avec paternalisme. Je voudrais bien ne pas faire avec mais j'y suis obligée.

Je laisse donc quasi tous les commentaires, y compris les plus violents car OUI quand vous remettez en cause un témoignage, oui quand vous alimentez la culture du viol avec des propos violents, vous n'imaginez pas derrière que des gens, hommes comme femmes d'ailleurs, se paient un sacré retour de bâton et revivent leur trauma.

Je le sais cette méthode a fonctionné ;  j'en ai eu qui sont venus me dire "écoute j'ai compris ce que tu voulais dire sur la culture du viol" "au fait tu sais mon mémoire... ben je vais le faire sur l'inégalité de salaire entre hommes et femmes". Il n'y a pas à tortiller, je continuerais donc à parler aux sexistes (qui sont de tout sexe, allez je vous rassure un peu là des fois que l'accusation de misandrie surgisse).

Donc est ce que Crêpe Georgette peut être un espace safe pour les féministes qui le souhaiteraient ? Non, parce que cela irait contre mes buts. Alors est ce un but louable de vouloir avant tout convaincre des gens sexistes que de laisser s'exprimer des non sexistes ? Je n'ai pas la réponse à cette question.

Maintenant une note pour tous ces gens qui débarquent, squattent les commentaires, pensent arriver avec des idées originales.
Le féminisme comme toute discipline, tout militantisme nécessite un socle de connaissances commun qu'on a appris en lisant, en parlant en échangeant peu importe. Mais surtout on a beaucoup écouté et on s'est beaucoup tu.

Vous ne vous en rendez pas compte mais arriver avec
"les hommes et les femmes sont différents"
"vous êtes misandre"
"les hommes ne sont pas tous des violeurs"
"occupez vous des vrais combats"
"éduque moi"
"écoute moi"
"ma part animale"
"on a des instincts"

provoque chez la plupart d'entre nous une fatigue incommensurable parce qu'on l'a entendu 500 fois et qu'on fatigue un peu à lire ces poncifs balancés par quelqu'un persuadé d'avoir inventé l'eau chaude.
Il n'y a rien de mal à poser des questions. Rien de mal à se taire trente secondes et à écouter. Quand une personne poste un témoignage compliqué, qu'elle n'a d'ailleurs peut-être jamais dit ou écrit ou que ce soit, il convient de lui apporter une réponse à elle. Si on ne se sent pas de le faire on se tait, au lieu de repartir sur "oui mais moi c'est pas pareil donc ton témoignage ne vaut rien".

Chaque post écrit ici m'apporte par mail ou en commentaire des écrits douloureux, des témoignages de souffrance. Avant de penser à ce que cela VOUS procure  (malaise, sentiment d'être pris pour un violeur ou que sais-je) pensez trente secondes à celles et ceux qui les ont écrits.

Enfin. Si vous constatez que certains posts vous mettent trop mal à l'aise, vous semble trop agressifs, mon mail est là pour en parler.

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  18 réponses sur “Etre un espace féministe safe”

  1. [...] Etre un espace féministe safe [...]

  2. Valérie, je t'aime.

    En tant que rédactrice d'un site politique, j'ai ainsi que mes collègues le droit d'affronter quelques trolls bien stupides...

    Parfois je me demande si ça vaut le coup de répondre aux trolls, si ça n'est pas juste une perte de temps et d'énergie qui ne mènera à rien, chacun restant bien campé sur ses position...

    Sinon, le commentaire typique macho qu'on retrouve généralement chez les articles féministes qui me fait le plus hurler c'est :

    les femmes sont responsables de leur propre oppression (et ses innombrables variantes)

    car c'est bien connu, les femmes adorent s'auto opprimer.

    Sinon je pense qu'il faut les deux, des espaces safes et des espaces de "débat", bien que "débat" ne soit pas exactement le mot juste (doux euphémisme)...

  3. Coucou @azucena ^^
    Merci pour ce texte @valerie, je vais le garder précieusement pour le relire quant des trolls misogynes me font disjoncter (souvent les mêmes que ceux d'azucena). Je ne t'ai jamais envoyer de mail pour cause de troll mais je me suis souvent demander pourquoi tu laissait certains commentaires très haineux et je comprend maintenant ta démarche. Ça me semble très judicieux et utile et j'admire vraiment ta capacité d'encaissement et ta patience. Je te lis depuis plusieurs années (il me semble aussi que j'ai du te lire sur l'ex forum des CDG mais je suis pas certaine) et je ne commente pas souvent parce que je suis d'accord presque toujours mais franchement te voire répondre toujours et encore, presque inlassablement à tous les machos qui passent ici pour jouer au bingo, ça m'épate complètement. Merci Valérie, un milliards de merci et dix fois plus de bravos, tu m'excuserai de pas les matérialiser en copié collé ci dessous mais le cœur y est.
    Sororité

  4. Je sais que je n'ai pas à valider ou pas les propos tenus, donc je me permets juste de témoigner.

    En tant que mec, c'est en réalisant la "banalité" des propos tels que reporté par les féministes que les prises de conscience se cumulent.

    J'imagine que ça doit être fatiguant. Je souligne le processus : quand je me suis rendu compte qu'un élément qui semble anodin (une vanne pourrie, une réponse "les féministes se trompent de combat") est en fait une récurrence incommensurable de réponse, j'ai compris qu'il fallait arrêter. Et surtout la fermer.

    Deux passages qui me parlent très fort :

    "Les gars, vous avez le droit de parler et de débattre et si c'est dans le but de vous éduquer grand bien vous fasse. Mais vous avez aussi le droit de vous taire et d’écouter."

    "En revanche, si quelqu'un prend la peine de poser ses tripes sur la table, poser 5 minutes sa souffrance, ne vous sentez surtout pas obligé de parler. Attendez. Réfléchissez."

    Je ne peux que parler pour moi, mais je le ressens comme utile, parce qu'au final je me fais le vecteur de ce message dans mes discussions entre mec.

    J'anticipe quand même que je ne recherche la aucune reconnaissance, j'espère simplement apporter des éléments à la question " Alors est ce un but louable de vouloir avant tout convaincre des gens sexistes que de laisser s'exprimer des non sexistes ?", sans pouvoir y répondre non plus bien sûr.

  5. Laisser les commentaires haineux en ligne, c'est permettre à l'ensemble des lecteurs de voir les énormités dont certains sont capables, y compris ici, dans cet espace où a priori ils auraient plutôt intérêt à faire profil bas, montrer l'étendue de leur bêtise primaire, et donc de les laisser se discréditer eux-mêmes.

    Et ça rappelle aux autres que non, le féminisme n'est pas démodé, et que le combat est plus que jamais actuel.

  6. Tu as toute mon admiration pour ta capacité à faire ce job de pédagogie... Pour ma part, face à "oui, mais moi/le problème avec le féminisme/le féministe, c'est sexiste, moi, je suis humaniste/yakafaukon", j'éprouve rapidement de la lassitude, suivie rapidement d'une exaspération solide, qui s'enchaîne souvent avec une réponse cinglante pas tellement pédagogiques, j'avoue.
    Et c'est pas constructif. Alors oui, merci pour le job.

  7. Comme on dit, "les commentaires d'un article féministe prouvent qu'on a besoin du féminisme"

    Autant je savais que sur les articles que tu écris toi-même tu recevais une vague de commentaires haineux ou "bien pensants" (tout ce que tu as cité dans la liste quoi) mais ça me dépasse (je suis trop naïve) que des gens osent remettre en cause la parole de quelqu'un qui prend le temps d'écrire, de faire un témoignage et de le publier. C'est plus qu'un manque de respect, c'est pire que ça. Si même une personne qui expose sa souffrance et qui décrit ses sentiments ne les empêche pas de poster leurs commentaires gerbants, c'est qu'ils ont un sérieux problème de respect et d'écoute.

  8. Je plussoie sur la nécessité de se poser et d'écouter. Et pour ceux qui postent une trentaine de commentaires sans ponctuation sous un même article sans l'avoir compris, d'arrêter de croire que votre avis est requis et indispensable.

    En revanche, merci à ceux et celles qui témoignent sans se prendre pour le centre du monde pour autant 🙂

  9. Merci de ces explications Valérie.

    "n'avons pas le pouvoir ni social, ni économique, ni politique, ni rien. Le mec ou la fille qui viennent dire ici qu'une femme violée l'a cherché DOIVENT être convaincus du contraire"

    C'est le choix que tu as fait, et il est tout à fait légitime et utile.
    La question qui va avec s'est posée à un moment ou à un autre à toutes les féministes: est-ce que tous les machos, même les plus crétins, même les plus haineux et violemment misogynes, sont "récupérables"?
    Chacune de nous qui intervenons sur des forums doit se fixer plus ou moins une ligne de conduite générale là dessus, faire le triage en fonction de certains critères tout en adaptant ses réponses au cas par cas.

    Tu as choisi d'avoir une approche de non exclusion totale, y compris pour des cas que je jugerais désespérés, et qui plus est, tu sembles obtenir des résultats: de la façon dont Pierre partait, je n'aurais pas parié gros sur sa capacité à évoluer.

    Et pourtant, il semble avoir saisi un ou deux trucs grâce à tes explications et à ta subtilité pédagogique :-).

    Conclusion: ta méthode ne marche peut être pas à tous les coups, mais elle a l'air de marcher assez souvent pour que cela vaille la peine de continuer.

  10. @Domnine

    Je pense, ou j'espère, qu'une grande partie est récupérable, car sexistes-mous, disons par habitude, fréquentation, ou flemme de s'améliorer. Un environnement différent, des contacts différents pourraient faire changer ces personnes en peu d'années, et en faire de braves gens respectant son prochain sans distinction de sexe.

    Malheureusement il y aura toujours un socle inamovible chez les sexistes. ceux qui le sont par conviction, par culture assumée, limite revendiquée.
    Et ceux qui le sont non pas par culture, mais simplement par leurs actes. un agresseur n'est ni plus ni moins quelqu'un pour qui ses pulsions doivent être assouvies avant d'évaluer l'impact sur sa victime (ca convient autant au voleur qui passe à l'acte, qu'au violeur ou au meurtrier : je pense à moi, pas à l'autre, et passe à l'acte.)
    Tu ne peux pas récupérer ces personnes. du moins pas toi, avec des mots, à moins de te consacrer durant des années à le faire changer et encore avec des risques élevés d'échecs. Même la société et son instrument judiciaire / carcéral ne peut pas réellement changer le coeur et la pensée d'un homme habitué à succomber à ses désirs.

    Ca me désole de dire çà, mais... je n'y crois simplement pas. il faut juste, sur le long terme, que notre société soit suffisamment ouverte éduquée et intelligente pour avoir l'immense plaisir de voir cette proportion de prédateurs réduite à un pourcentage très faible. Mais ne pas se faire d'illusions : l'homme est un loup pour l'homme, il existera toujours quelqu'un assez égoïste pour "se servir". Dans ta bijouterie, dans ta bagnole, et malheureusement pour les femmes, vous êtes aussi à ses yeux un objet de désir. Oui : objet. ils pensent comme çà les prédateurs.

  11. "e prédateurs réduite à un pourcentage très faible. Mais ne pas se faire d'illusions : l'homme est un loup pour l'homme, il existera toujours quelqu'un assez égoïste pour "se servir".

    Moui, c'est bien plus pour la femme que pour l'homme que l'homme est un loup.
    Je suis assez sceptique moi même, même si j'apprécie et respecte le travail de communication que fait Valérie.

    Cela dit, le cynisme systématique est autant basé sur une analyse simpliste que l'angélisme inconditionnel.
    Nous vivons dans une société ultra-libérale où tout se vend/tout s'achète et où la valeur sociale d'un individu est exactement égale à celle de son compte en banque.
    Cette marchandisation universelle de l'humain dessert les femmes, c'est sûr. Mais cette société ultra-libérale n'est pas éternelle, elle est d'invention relativement récente, et elle a fait tache dans le monde à partir des pays occidentaux.
    Tous les ethnologues savent qu'il y a des sociétés pratiquement sans viol et sans prostitution (ou au moins ces deux formes de prédation masculines sont rares et non légitimées socialement).
    Il n'y a donc rien d'inhérent à la soi-disant "nature humaine" --qui en fait est infiniment changeable--dans la pratique fréquente du viol et son acceptation sociale généralisée.

  12. J'ai cru comprendre, en essayant de faire le féministe de service sur un autre forum (majoritairement de types de plus de 40 ans qui se croient "amis de ces déesses que sont les femmes"), que beaucoup mecs ne sont pas spécialement préoccupés des arguments qu'on avance, mais surtout par eux et l'image d'eux mêmes. Eduqués pour avoir une certaine "stature", pas forcément dominer, mais être "l'égal" des vrais hommes (qui dominent ensemble les femmes), être des "combatants" etc...
    Bref, ils ne sont pas forcément hermétiques au discours féministes, mais ce sont des petites rois qui ne sont pas prêts à l'humilité que suppose un discussion. A mon avis, ils peuvent réfléchir dans leur coin, mais ne s'abaisseront jamais dans une discussion à se laisser convaincre. Il faut qu'ils aient l'impression que ça vienne d'eux. bien sur, ça parait difficile de quitter un jour la place des "prédateurs" en conservant un tel niveau d'égo.

  13. Il me semble que Benoite Groult disait des choses fort sensées sur les hommes qui n'aiment pas les femmes, mais les "adorent". En général, il s'agit plus d'un idéalisme, ils aiment l'idée de la femme, mais pas les femmes à proprement dit. Il s'agit plus de s'entendre dire à quel point ils sont bons d'admirer ainsi, que de réellement faire quelques choses pour elles.

  14. @Anon. Ben il me semble que de toute manière, quand on aime un être humain, c'est avec ses défauts...qui font son humanité, et quand on l'adore, c'est ce que c'est forcément une image (est-ce que étymologiquement il y a l'idée de "dorure" ?). Et je pense que souvent les hommes deviennent violents quand ils découvrent qu'on est pas dans leur livre d'images, mais dans le monde des être humains.
    Je suis d'accord avec toi, souvent, en voulant montrer qu'on "aime les femmes", on veut montrer qu'on est "un type bien". Mais quand on est "responsable", on aime les êtres humains tout court.

    • @Ali : adorer vient du latin "adorarer" qui est directement en relation avec le divin, et la vénération. Donc, forcément, c'est plus une image qu'une réalité, et c'est pire quand la femme est posée en "déesse" puisque la "chute" du piédestal est forcément terrible. Voilà pour un peu d’étymologie ^^"

  15. Bonjour, je voudrais juste dire
    a) que arakn a parfaitement exprimé mon point de vue masculin et
    b) que c'est effectivement lassant de devoir toujours répéter les mêmes évidences, même pour un homme (qui n'a donc "que" à défendre son point de vue, quitte à se prendre des "tafioles" en retour). En tant que groupe dominé, vous avez en plus à devoir défendre le simple fait de s'exprimer. Ce qui ama est d'ailleurs le pb avec ceux qui arrivent avec leurs certitudes: vu que le point de vue féministe remet en cause le fonctionnement même de la société, il est plus facile et plus rassurant de s'en prendre non au point de vue, mais à l'expression elle même.

  16. [...] Etre un espace féministe safe - Crêpe Georgette [...]

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